mercredi 6 décembre 2017

La croissance et l’emploi dans l’agenda de la Banque de la République d’Haïti (BRH): un épilogue heureux ou une panacée réchauffée ?

« On supporterait tellement mieux nos contemporains s’ils pouvaient de temps en temps changer de museau. Mais non, le menu ne change pas. Toujours la même fricassée. »
(Camus, 1958 : 17)

Sans vouloir jouer les Cassandre ni tomber dans la paramnésie, n’importe quel observateur ayant suivi l’actualité socioéconomique d’Haïti des deux dernières décennies au moins, peut avoir une sensation de déjà-vu face à l’« agenda monétaire pour la croissance et l’emploi » (Lalime, 2017) présenté récemment par la Banque de la République d’Haïti (BRH). 

Des Duvalier aux néo-duvaliéristes de « tèt kale » (PHTK) en passant par « Lavalas » et les gouvernements de transition, ce ne sont pas tant les remèdes pour la croissance et le développement qui ont manqué à la stérile et rabougrie économie haïtienne. On a promis tant de milliards, investi tant de millions, élaboré tant de plans, validé tant de programmes, exécuté tant de projets et mis en place tant de structures de gestion et/ou de pilotage, etc., etc.…Pourtant, le fameux « plan structuré de développement économique », encore appelé « le démarrage », adopté par les américains pour calmer l’indignation nationaliste de Duvalier était présenté dans le message du 22 mai 1963 de ce dernier comme la nouvelle et nécessaire « loi de salut » pour laquelle tous ceux qui aiment Haïti devaient être mobilisés (Pierre-Charles, 1973 : 65). Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) mis de l’avant par le FMI dans les années 70 et 80 pour appuyer les pays en voie de développement (PVD) dans leur démarche vers la croissance économique ont donné des résultats exactement contraires à cet objectif et évidemment néfastes pour ces pays, tandis que les rémanences des DSRP (Documents de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté) des années 90 et 2000 font encore objet de rudes récriminations. Or, les DSRP n’avaient pas manqué d’annoncer la couleur ; en Haïti tout au moins. En témoigne un article publié dans « Le Nouvelliste » du 18 avril 2007 sous le pompeux titre « Le DSRP : pour un réel développement d’Haïti » ; ou encore le sous-titre de la version indigène du document (DSNCRP) : « POUR REUSSIR LE SAUT QUALITATIF ». 

Plus récemment, la première version de « tèt kale » (mai 2011- février 2016) appelait à s’ « engager entièrement dans le processus de validation du Plan Stratégique de Développement d’Haïti », premier tome d’un document qui, selon les propos signés du président Michel Martelly, décrit :
… les orientations, les choix et les grands chantiers que nous, tous ensemble, avec la collaboration de nos partenaires du développement, devons mettre en œuvre pour une croissance économique rapide et durable visant la création de nombreux emplois, la réduction de la pauvreté sous toutes ses formes, la constitution d’une classe moyenne large et solide, une répartition des fruits de la croissance sur l’ensemble du territoire et la mise en place d’un État de droit assurant la justice et la sécurité à tous. 
Le Premier Ministre Laurent Lamothe de qui émana ce document n’étant pas allé jusqu’au bout du mandat du président, il faudra peut-être attendre l’ouverture des nouvelles campagnes présidentielles haïtienne pour connaitre la suite. Car, il y avait écrit noir sur blanc : « réalisé par nous-mêmes et pour nous-mêmes, sur la base de notre vision et orientations nationales à long terme du développement… ». Bref, chaque nouveau plan annonce la découverte d’une nouvelle panacée mais l’économie demeure stationnaire, sinon moribonde. C’est à croire que la maladie est incurable si le diagnostic à chaque fois établi n’est pas faussé.

L’Agenda de la BRH quant à lui promet de « placer l’économie sur un sentier de croissance soutenue et inclusive ». Il veut, semble-t-il, convaincre. Il dénonce vertement l’orthodoxie de l’équilibre budgétaire.Il a peut-être découvert la règle d’or. Ce n’est pas rien.Va-t-il enfin pouvoir faire sortir Haïti de la pauvreté ? Faut-il enfin croire à un épilogue heureux ? Le moins qu’on puisse souhaiter à cet agenda, c’est une rentabilité de son excès d’optimisme. 

Néanmoins, sait-on combien peuvent coûter la croissance et l’emploi pour Haïti ?Sera-t-on prêt à les payer à ces prix-là ?A-t-on assez justement évalué les enjeux et peut-on être sûr de ne pas se tromper ? A-t-on, par exemple, une connaissance du rapport des principaux acteurs socioéconomiques et politiques du pays avec le travail, la productivité, ou encore l’économie ? Bref, est-il possible de résoudre les problèmes liés à la croissance, l’emploi et le travail en Haïti sans une profonde analyse et une réelle compréhension des processus cognitifs mobilisés par les acteurs haïtiens dans la construction des représentations sociales du travail?

Ce sont là parmi les questions auxquelles il faudra nécessairement répondre, faute de quoi les cent pages de l’agenda risquent de n’être que vœux pieux ; à moins qu’ils servent à stopper l’hémorragie de la jeunesse haïtienne en quête de travail et de reconnaissance vers le Chili.Cela passera nécessairement par des politiques sociales et d’emplois efficaces. Reste à savoir si c’est possible dans ce climat de scandales de corruptions répétés sans un sérieux assainissement de la vie politique haïtienne. En tout cas, si le chômage n’est pas nécessairement un motif de colère, il peut le devenir. Alors, halte !

Bibliographie
1.      Camus, Albert. 1958. Caligula suivi de Le malentendu, Gallimard, Paris, coll. « Folio », no 64. 246 p.
2.      Gouvernement de la république d’Haïti. (2012). Plan Stratégique de Développement d’Haïti, Pays émergent en 2030, [En ligne], http://www.ht.undp.org/content/dam/haiti/docs/Gouvernance%20d%C3%A9mocratique%20et%20etat%20de%20droit/UNDP_HT_PLAN%20STRAT%C3%89GIQUE%20de%20developpement%20Haiti_tome1.pdf. Consulté le 4 décembre 2017 à 20h12.
3.      Lalime, Thomas. 2017. “La BRH présente son agenda monétaire pour la croissance et l’emploi », Radio Télévision Caraïbes, [En ligne], http://lenouvelliste.com/article/175893/la-brh-presente-son-agenda-monetaire-pour-la-croissance-et-lemploi. Consulté le 4 décembre 2017 à 19h43.
4.      Pierre-Charles, Gérard. 1973. Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier, éditions Nouvelle Optique, Montréal. 205 p.

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