« On supporterait
tellement mieux nos contemporains s’ils pouvaient de temps en temps changer de
museau. Mais non, le menu ne change pas. Toujours la même fricassée. »
(Camus, 1958 : 17)
Sans vouloir jouer les Cassandre ni tomber
dans la paramnésie, n’importe quel observateur ayant suivi l’actualité
socioéconomique d’Haïti des deux dernières décennies au moins, peut avoir une
sensation de déjà-vu face à l’« agenda monétaire pour la croissance et
l’emploi » (Lalime, 2017) présenté récemment par la Banque de la République
d’Haïti (BRH).
Des Duvalier aux néo-duvaliéristes de « tèt kale »
(PHTK) en passant par « Lavalas »
et les gouvernements de transition, ce ne sont pas tant les remèdes pour la
croissance et le développement qui ont manqué à la stérile et rabougrie
économie haïtienne. On a promis tant de milliards, investi tant de millions,
élaboré tant de plans, validé tant de programmes, exécuté tant de projets et
mis en place tant de structures de gestion et/ou de pilotage, etc., etc.…Pourtant,
le fameux « plan structuré de développement économique », encore
appelé « le démarrage », adopté par les américains pour calmer l’indignation
nationaliste de Duvalier était présenté dans le message du 22 mai 1963 de ce
dernier comme la nouvelle et nécessaire « loi de salut » pour
laquelle tous ceux qui aiment Haïti devaient être mobilisés (Pierre-Charles,
1973 : 65). Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) mis de l’avant
par le FMI dans les années 70 et 80 pour appuyer les pays en voie de
développement (PVD) dans leur démarche vers la croissance économique ont donné
des résultats exactement contraires à cet objectif et évidemment néfastes pour
ces pays, tandis que les rémanences des DSRP (Documents de Stratégie pour la Réduction
de la Pauvreté) des années 90 et 2000 font encore objet de rudes récriminations.
Or, les DSRP n’avaient pas manqué d’annoncer la couleur ; en Haïti tout au
moins. En témoigne un article publié dans « Le Nouvelliste » du 18 avril 2007
sous le pompeux titre « Le
DSRP : pour un réel développement d’Haïti » ; ou encore le
sous-titre de la version indigène du document (DSNCRP) : « POUR
REUSSIR LE SAUT QUALITATIF ».
Plus récemment, la première version de
« tèt kale » (mai 2011- février 2016) appelait à
s’ « engager entièrement dans le processus de validation du Plan Stratégique de Développement
d’Haïti », premier tome
d’un document qui, selon les propos signés du président Michel Martelly, décrit :
… les
orientations, les choix et les grands chantiers que nous, tous ensemble, avec
la collaboration de nos partenaires du développement, devons mettre en œuvre
pour une croissance économique rapide et durable visant la création de nombreux
emplois, la réduction de la pauvreté sous toutes ses formes, la constitution
d’une classe moyenne large et solide, une répartition des fruits de la
croissance sur l’ensemble du territoire et la mise en place d’un État de droit
assurant la justice et la sécurité à tous.
Le Premier Ministre Laurent Lamothe de qui
émana ce document n’étant pas allé jusqu’au bout du mandat du président, il faudra
peut-être attendre l’ouverture des nouvelles campagnes présidentielles
haïtienne pour connaitre la suite. Car, il y avait écrit noir sur blanc :
« réalisé par nous-mêmes et pour nous-mêmes, sur la base de notre vision
et orientations nationales à long terme du développement… ». Bref, chaque
nouveau plan annonce la découverte d’une nouvelle panacée mais l’économie
demeure stationnaire, sinon moribonde. C’est à croire que la maladie est incurable si le diagnostic à chaque fois établi n’est
pas faussé.
L’Agenda de la BRH quant à lui promet de
« placer l’économie sur un sentier de croissance soutenue et
inclusive ». Il veut, semble-t-il, convaincre. Il dénonce vertement
l’orthodoxie de l’équilibre budgétaire.Il a peut-être découvert la règle d’or. Ce
n’est pas rien.Va-t-il enfin pouvoir faire sortir Haïti de la pauvreté ? Faut-il
enfin croire à un épilogue heureux ? Le moins qu’on puisse souhaiter à cet
agenda, c’est une rentabilité de son excès d’optimisme.
Néanmoins, sait-on combien peuvent coûter la
croissance et l’emploi pour Haïti ?Sera-t-on prêt à les payer à ces prix-là
?A-t-on assez justement évalué les enjeux et peut-on être sûr de ne pas se
tromper ? A-t-on, par exemple, une connaissance du rapport des principaux acteurs
socioéconomiques et politiques du pays avec le travail, la productivité, ou
encore l’économie ? Bref, est-il possible de résoudre les problèmes liés à
la croissance, l’emploi et le travail en Haïti sans une profonde analyse et une
réelle compréhension des processus cognitifs mobilisés par les acteurs haïtiens
dans la construction des représentations sociales du travail?
Ce sont là parmi les questions auxquelles il faudra
nécessairement répondre, faute de quoi les cent pages de l’agenda risquent de
n’être que vœux pieux ; à moins qu’ils servent à stopper l’hémorragie de la
jeunesse haïtienne en quête de travail et de reconnaissance vers le Chili.Cela passera
nécessairement par des politiques sociales et d’emplois efficaces. Reste à
savoir si c’est possible dans ce climat de scandales de corruptions répétés sans
un sérieux assainissement de la vie politique haïtienne. En tout cas, si le
chômage n’est pas nécessairement un motif de colère, il peut le devenir. Alors,
halte !
Bibliographie
1. Camus, Albert. 1958. Caligula
suivi de Le malentendu, Gallimard,
Paris, coll. « Folio »,
no 64. 246 p.
2.
Gouvernement de la république d’Haïti. (2012). Plan
Stratégique de Développement d’Haïti, Pays émergent en 2030, [En ligne], http://www.ht.undp.org/content/dam/haiti/docs/Gouvernance%20d%C3%A9mocratique%20et%20etat%20de%20droit/UNDP_HT_PLAN%20STRAT%C3%89GIQUE%20de%20developpement%20Haiti_tome1.pdf.
Consulté le 4 décembre 2017 à 20h12.
3.
Lalime, Thomas. 2017. “La BRH
présente son agenda monétaire pour la croissance et l’emploi », Radio
Télévision Caraïbes, [En ligne], http://lenouvelliste.com/article/175893/la-brh-presente-son-agenda-monetaire-pour-la-croissance-et-lemploi.
Consulté le 4 décembre 2017 à 19h43.
4.
Pierre-Charles, Gérard. 1973. Radiographie
d’une dictature. Haïti et Duvalier, éditions Nouvelle Optique, Montréal. 205 p.
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