mercredi 1 octobre 2014

Vers où vogue L'Université Française?

En 2006, la France amorçait un virage vers une nouvelle politique de gestion des services publiques avec la "loi organique relative aux lois de finances" (LOFL), assujettissant le budget de l’État à divers objectifs et autres indicateurs de performances. Ce nouveau cap fut renforcé l'année suivante par la RGPP, ou révision générale des politiques publiques, et la loi LRU (pour Liberté et Responsabilité des Universités), direction conservée par le nouveau gouvernement, sous le nom de modernisation de l'action publique, avec la loi Fioraso de 2013.

L'objectif de ces textes, mettre en compétition les universités de France, par le biais d'indicateurs quantitatifs macroscopiques, comme le nombre et l'impact des publications des chercheurs ou le salaire moyen des diplômés de celles-ci, et ce, bien sure, afin d'établir une hiérarchisation de leurs rentabilités éducatives, susceptible de guider l’État dans la délicate tâche d'attribuer ses subventions.
L'idéologie sous-jacente, c'est celle de l'économie politique capitaliste, pour qui la compétition, aussi connue sous le nom de "marché", est un instrument vertueux triant l'ivraie du bon grain, et l'idéal à atteindre, celui d'un marché universitaire à deux vitesses, divisés entre pôles d'excellences attractifs et sélectifs (ou compétitifs), et universités de secondes zones, contraintes à sacrifier la qualité de leurs enseignements pour ne pas déposer le bilan. Cette idéologie est à l’œuvre dans le monde entier, comme aux États Unis, où l'enseignement supérieur se divise entre de prestigieuses universités, véritable machine de guerre de l'éducation supérieur, aux frais d'inscriptions astronomiques, et de frêles campus communautaires. Ce débarquement néo-libérale en France ne s'est pas fait sans heurt, la gratuité de l'enseignement étant un principe fondateur, mais semble, maintenant, avoir atteint sa vitesse de croisière.
Par ailleurs, ce sont avant tout les méthodes employées pour atteindre cette objectif tacite, et encore lointain, qui doivent être questionné. L'application du nouveau management publique n'est pas sans conséquence sur le travail des enseignants-chercheurs, sur la qualité des enseignements dispensés, et plus généralement, la qualité de vie au sein de ces établissements. Considérer l'Université comme une entreprise, en permettant, par exemple, de breveter les applications des découvertes de la recherche fondamentale (permis aux États Unis par le Bay Dole Act depuis 1980), réoriente en profondeur les buts de la recherche sur fonds publiques, pour la placer au service du secteur privé. Évaluer les chercheurs sur la base du nombre de leurs publications, et aux nombres de citations, montrent une incompréhension incommensurable du milieu de la recherche et détériore la qualité des publications : personne n'est plus cité qu'un chercheur publiant une aberration, ses confrères s'empressant de le corriger. Enfin, le surcout managérial qu'implique l'augmentation de ces contrôles productivistes prive de ces fonds d'autres secteurs de l'université, et détériore de ce fait la qualité des cours en réduisant la part de budget utilisés pour personnels enseignants, et les enseignements, en faveur du personnels de direction (comme ce fut le cas ces dernières années à l'Université de Montréal).
La crise de 2008 ayant fait explosé la dette publique française, peut être n'existait-il pas d'autre horizon, toutefois, en poussant les universités à capter les souffles d'investissements du secteur privé, grâce aux contrat de partenariat publique privé ou PPP, (le nombre de PPP contracté étant un des indicateurs employés pour juger la performance d'une université), le gouvernement a placé les universités dans un rapport de force particulièrement inégalitaire, les forçant à laisser la barre aux léviathans du capital, ou à signer, les yeux bandés, de juteux pactes avec eux (en témoigne l'affaire de l'Université Paris VII, et son contrat PPP avec Bouygues).
Les résultats de cette nouvelle politique, les voici : un certain nombre d'Universités de provinces sont prises dans la tempête des restructurations en chaînes, afin de rester à flot, pendant que dans leurs rangs s'installent une ambiance délétère : le personnel contraint à l'injonction productiviste managérial, par les tambours assourdissants de la bibliométrie. Citons ici un article du Monde du 29 septembre, qui fait état de l'accroissement des cas de souffrances au travail dans les Universités d'Aix-Marseille et de Strasbourg, et un autre, de la même journée, dans le même journal, rapportant le suicide d'un technicien de l'université Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie, rendu gravement anxieux par la perspective presque certaine de perdre son emploi. Un climat qui n'est pas s'en rappeler celui connu par France télécoms, devenu Orange, suite à sa partielle privatisation.
En écoutant, une fois encore, le chant des sirènes néo-libérales, il semblerait que les pouvoir publique, en cédant aux vents de la dérégulation intempestives, ait laissé tombé les Universités de Charybde en Scylla. Elles partirent 500 universités (ou plutôt 73 en France, en 2014), mais combien reviendront elles, de ce périlleux voyage uni vers Cythère?

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