vendredi 17 octobre 2014

La face cachée de la flexbilité

Image: http://www.ades-grenoble.org/ades/presse/rv/rv72/rv72-images/flex.gif

Dans un article paraissant dans le journal Forum de l’Université de Montréal, le 25 février 2013, intitulé ¨ Les PME sont bien outillées pour séduire la génération Y¨ cet article rapporte les conclusions d’un mémoire écrit par une étudiante de l’Université de Montréal; Mélanie Brunette. Cette diplômée en relations industrielles s’intéresse à la capacité des PME de pouvoir attirer les jeunes travailleurs qui sont nés dans les années 1980 et 1990 que l’on appelle la génération Y. Souvent qualifiée comme centrée sur elle-même, exigeante, confiante et plus scolarisée que les générations précédentes, cette génération est un véritable défi pour les employeurs qui doivent ajuster leur méthode de gestion s’ils veulent être en mesure de les séduire. Mais quelles sont les exigences qu’ont les Y envers leur employeurs ? Le mot clé : flexibilité ; ¨ La communication constante, la liberté dans la gestion du temps et des méthodes de travail, la conciliation entre le travail et la vie personnelle, les défis multiples, les possibilités d'avancement, la gestion des ressources humaines socialement responsable, la reconnaissance des compétences ainsi que la gestion participative sont autant de facteurs auxquels les Y sont très sensibles.¨[1] Autrement dit, la génération Y veulent un accès facile avec les cadres et faire partie d’une gestion participative (¨76% estiment pouvoir apprendre beaucoup à leur employeur[2]¨) et une flexibilité dans les heures de travail (¨81% considèrent qu’on devrait leur permettre de gérer leur horaire de travail[3]¨).
Un article du journal Métro rapporte l’exemple d’un jeune artiste 3D qui œuvre dans une PME nommée Pixi, et qui dit être convaincu que notre génération se retrouve mieux dans une organisation horizontale. L’article mentionne aussi que cette génération aime pouvoir travailler n’importe où et n’importe quand. Des PME adaptées à la génération Y seraient donc dynamiques, flexibles, et offriraient des postes avec des tâches de moins en moins bien définies. Ce semble être un compromis avantageux pour les jeunes travailleurs autant que pour les employeurs; certains scanderont la fin du 9 à 5, l’humanisation des méthodes de gestion. Enfin terminé avec la discipline infernale du patronat, le stress, les heures fixes et interminables au bureau ? Le patronat serait-il en train de développer une organisation altruiste et ouverte  aux intérêts des jeunes travailleurs ? Ne mordons pas à l’hameçon de si tôt.

Cette génération semble adhérer facilement à ces nouvelles méthodes de gestion, développées, disons-le, d’un angle intéressé, pour l’efficacité des ressources humaines. On assiste à une intériorisation de cette méthode de gestion par la génération Y, comme le rapporte le journal Métro par exemple : ¨ Les Y peuvent travailler partout, n’importe quand, et disent aimer ça.¨[4] Voyons comment le patronat articule (sournoisement?) des mécanisme de discipline de ses employés à travers cette nouvelle méthode de management qui semble, à première vue être sympathique et qui semble généreusement donné beaucoup de place à l’individu, à sa liberté et à ses exigences. Mais, lorsqu’observé, ce nouveau management réussi à déjouer les employés en allant chercher leur adhésion, tout en jouant contre leurs intérêts.
Pour commencer, voyons comment cette méthode néo-libérale d’organisation des entreprises détruit l’esprit de solidarité entre les travailleurs en individualisant les méthodes de gestions. Ce que ce nouveau management libéral a de particulier est de gérer chaque employé de façon particulière comme ¨centre de profit individuel¨[5]. Autrement dit, répond aux demandes de la génération Y en ce qui concerne la flexibilité individuelle. Si la gestion est individualisée et donne la liberté aux employés de gérer leur horaire, leur temps, et leurs méthodes de travail, comment les patrons peuvent garder le contrôle des opérations? Comment le patronat peur rémunérer les employés s’ils perdent le contrôle du temps de travail des employés; les résultats. Le problème d’être payé pour les résultats est la possibilité que cela offre au patronat de pouvoir abuser de la force de travail de l’employé. Le temps de travail devient difficile à calculer, sinon impossible, dans l’intérêt de l’employeur. La liberté que réclame la génération Y a un coût; l’employé se retrouve avec la responsabilité individuelle d’assurer les résultats, et se traduit par un travail qui s’intensifie, sans même que le patron ait à intervenir; un vrai miracle pour les gestionnaires. Comme la responsabilité qui repose sur les épaules des employés de façon individuelle, les employés vont effectuer un autocontrôle de leur travail. La contrainte de performance ne dépend donc plus d’un patron menaçant mais de l’employé lui-même, qui intériorise les demandes de performances du patronat.  Non seulement l’employé doit remplir les demandes souvent de plus en plus exigeantes du patronat mais doit aussi s’assurer qu’il conserve une bonne ¨employabilité¨[6]. C’est-à-dire qu’il doit constamment prouver à son patron qu’il est plus performant que les autres, peu importe son ancienneté, son âge, ou sa condition, sous menace de se faire remplacer. De plus, le nombre de diplômés universitaire a augmenté de 24%, pourtant les jeunes ont un taux de chômage de 14,5% au canada, le double du taux moyen. Les entreprises ont donc avantage à sélectionner les candidats les plus diplômés, qui seront les moins demandant, qui seront eux, contraints à accepter, puisque la possibilité de se retrouver sur le chômage est présente[7].

Pour continuer, l’individualisation des performances a pour conséquence de découragé les mouvements de mobilisation. Puisque par exemple, si un employé est renvoyé pour une raison invalide ou superficiel, les employés n’ont aucun intérêt à rétorquer ou se mobiliser. Bien au contraire, les employés plus bas que celui-ci aspireront de remplacer son poste et ont dans leurs intérêts de fermer les yeux.

De plus, dans les PME, les avantages sociaux et les salaires sont la plupart du temps inférieur à ceux des grandes entreprises, en plus d’avoir une définition de tâche pour les postes plus floue que dans ceux-ci[8]. Donc les jeunes travailleurs de la génération Y sont souvent prêts à accepter ces désavantages financiers au profit d’une meilleure flexibilité. Flexibilité qui, bien souvent permet à l’employeur de gérer l’employé individuellement et lui demander toujours plus pour moins, et qui a tendance à alimenter un environnement de travail compétitif, et donc plus stressant. En plus de devoir constamment être en mesure de répondre à la demande et être évaluer aux résultats individuels, en grugeant de plus en plus la barrière qui sépare le travail de la vie privée. En effet, 65%  des jeunes affirment ne pas être connecté à internet moins de une heure par jour, il devient alors très facile de rédiger un document ou répondre à des courriels concernant le travail n’importe où et n’importe quand. Il devient alors difficile de décrocher du travail. Vive la flexibilité les jeunes !

Anthony Brissette




[1] Journal forum : Marie Lambert-Chan, Les PME sont bien outillées pour séduire la génération Y, 25 février 2013, (en ligne), http://www.nouvelles.umontreal.ca/recherche/sciences-sociales-psychologie/20130225-les-pme-sont-bien-outillees-pour-seduire-la-generation-y.html
[2] Journal métro : Sophie Mangado, Ce que veulent les Y sur le marché du travail, 19 mars 2014, (en ligne), http://journalmetro.com/plus/carrieres/466103/ce-que-veulent-les-y/
[3] Ibid
[4] Ibid
[5] Dardot, Pierre et Christian Laval. 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris, p.309
[6] Ibid, p.313
[7] Ceridian: Maximiser la valeur de la génération Y, des stratégies de recrutement et de gestion efficaces que vous pouvez mettre en oeuvre aujourd’hui, (en ligne), http://www.ceridiansmallbusiness.ca/site/tell-me-more/pdf/pme_maximiser_valeur_generation_Y.pdf
[8] Journal forum (1)

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