mercredi 1 octobre 2014

Travail informel en Algérie et Soto

Travail informel en Algérie et Soto
   
 Malgré les sommes considérables consenties par l’Etat, l’informel a toujours pignon sur rue.
 Quand vient le temps des analyses sociologiques sur le travail informel, Hernando de Soto représente une véritable figure de proue du mouvement. Son importance est indéniable quand vient le temps d'étudier le travail informel dans les pays émergents, principalement en Amérique Latine. Toutefois, cette présente entrée dans le blogue « La gueule de l'emploi » choisit de contextualiser ses écrits à un autre contexte : le contexte algérien. Ainsi, le premier texte propose une brève synthèse de l'article « 200 marchands illégaux délogés à Rouiba [une commune algérienne de plus de 50 000 habitants] » et y insère une observation et une analyse du phénomène à la vue d'extraits de L'autre sentier de Soto.

   Tout d'abord, il convient de situer géographiquement le lieu du délogement effectué par les forces de l'État. Celui-ci a eu lieu dans la région administrative du wilaya d'Ager qui contient environ 3 000 000 d'habitants en plus de la capitale Alger. Elle est à la fois la région la plus populeuse et la plus petite du pays. L'événement à question s'est déroulé plus précisément sur une route à forte valeur commerciale reliant Rouïba à Aïn Taya. 
Localisation de la Wilaya d'Alger
(La région en rouge étant le wilaaya d'Alger)

   Comme l'a dit Soto, l'appropriation des rues suit un long processus d'investigation : « Elle [l'invasion] signifie donc une invasion des rues. Cette invasion, comme dans le cas des lotissements informels, n'est pas le fruit du hasard, mais procède, selon les constations de l'ILD, d'un calcul économique complexe. » (Soto, 1994, p. 57.) Ainsi, les commerçants ont délibérément choisi de commercer dans ce lieu, les clients y étant nombreux et les gains à réaliser plus important qu'ailleurs. Cette qualité de situation économique n'est pas étrangère à la quantité de commerçants présents sur cette route, Soto rappelle que si un territoire : « […] est déjà occupé, chaque nouvelle arrivée renforce la présence des autres. » (Soto, 1994, p. 58.) Donc, l'important délocalisation d'environ 200 marchands constate l'efficacité économique du lieu au commerce informel, chaque commerçant ayant choisi cet emplacement au lieu d'un autre. Néanmoins, l'absence d'une quelconque organisation transforme ces travailleurs en proies faciles : ceux-ci ne disposant pas d'un pouvoir de négociation renforcé par le nombre. Soto verrait en cette route un milieu propice à la création d'une organisation étant donné que : « Les agressions – qu'elles viennent de l'État, de commerçants légalement installés ou d'autres marchands ambulants – se produisent en des lieux précits où seuls les marchands ambulants concernés ont intérêt à s’organiser. C'est donc la fonction qui crée l'organisation. » (Soto, 1994, p. 65.) De plus, selon l'article du El Watan, plusieurs commerçants continuent malgré tout d'effectuer des transactions marchandes sur la route. Les conditions sont donc réunies pour une organisation des travailleurs s'ils souhaitent éviter quelconque nouvelle agression.

   Officiellement, les marchands ont été délocalisés en raison d'une intervention de l'assemblée populaire communale (A.P.C.), le conseil municipal en Algérie, sous le motif de la propriété d’étals par les marchands dans un marché récemment construit par l'A.P.C et financé largement par les fonds publics. Soto soutiendrait que cette création étatique cherchant à légitimer ces travailleurs informels est en fait une tentative d'intégration de l'État, mais qu'elle est insuffisante étant donné qu'elle écarte les considérations des ces marchands. En somme : « Cette intégration signifierait […] éliminer les restrictions du système légal et intégrer tous les travailleurs au sein d'une nouvelle légalité. » (Soto, 1994, p. 209) Dans la suite de l'article, les commerçants informels n'ont pas niés la possession de ces propriétés, toutefois, elles se retrouvent dans un endroit où la clientèle manque cruellement (Kheireddine, 2014). L'intégration ne se fait donc que dans un sens, les travailleurs ne voulant pas perdre leur clientèle et leur profit pour une simple question de légalité. Un autre motif, moins formel que le premier, serait la fluidité de la circulation qui s'est nettement amélioré après le départ des marchands. Il n'y a pas davantage d'informations sur la question dans l'article, mais il est possible d'en déduire un jeu de pouvoir entre les commerçants et l'état, lutte ou ce dernier sort gagnant en pouvant invoquer des questions légales pour déloger des personnes d'un territoire donné.

   En conclusion, le contexte algérien du travail informel ne semble pas s'éloigner fortement des observations effectuées par Soto sur le commerce informel en Amérique latine. Il reste toutefois à voir si les marchands ayant poursuivis leurs affaires sur la route liant Rouïba à Aïn Taya sauront s'unir dans une quelconque organisation et réussiront à obtenir certains droits de propriétés de l'État.

Kheireddine, Saci, « 200 marchands illégaux délogés à Rouiba », El Watan, mis à jour le 18 septembre 2014, <http://www.elwatan.com/regions/centre/alger/200-marchands-illegaux-deloges-a-rouiba-18-09-2014-271577_148.php>, consulté le 1 octobre 2014.

Soto, Hernando de. 1994. « Le commerce informel » et « Conclusion », dans L’autre sentier, La

Découverte, Paris. Pp. 52-74; 209-218.

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