jeudi 2 octobre 2014

Le travail est mort, vive le travail!


Au travers de cette actualité, se pose la question des jours fériés. Nous le savons la France en possède de nombreux, mais est-ce une raison pour en supprimer deux ? Pierre Gattaz, président du MEDEF, semble penser qu’une telle mesure viserait à relancer la croissance.
C’est avec un léger sourire, mais surtout un tas de question que je lis cette déclaration : « Deux jours fériés supprimés permettraient de faire deux jours [de plus] sur 225 jours, c’est-à-dire 1% de travail en plus par salarié», soit «entre 0,5 et 1% de PIB » selon Monsieur Gattaz. Premièrement, il me semblait que le travail était désormais considéré comme un coût, et non plus comme une source de création de richesse… Mais oui ! Les jours fériés sont rémunérés de façon générale (il existe un ensemble d’exceptions, notamment pour les emplois précaires), cela reviendrait donc à travailler deux journées de plus pour un salaire identique. 

Au delà de l’aspect primaire d’une telle proposition et de la question du salaire, l’idée que les travailleurs doivent assumer les conséquences d’une crise dûe à la finance (qui tend depuis 15 ans à se déconnecter du monde du travail) me met mal à l’aise. Je me questionne sur le bon sens d’un homme comme Pierre Gattaz, qui si l’on suit les théories Bourdieusiennes de l’habitus, doit posséder une connaissance tout à fait pointue des causes et des réalités afférentes à ce ralentissement économique et ose tout de même demander au travailleur de renoncer à deux jours fériés pour remettre l’économie dans le sens de la marche, quand on sait qu’une régulation de la finance et une taxation des transactions spéculatives suffiraient amplement à régler la question de la croissance dans les pays occidentaux. 

En clair, doit-on voir dans cette proposition l’aveu du directeur du MEDEF, replaçant le travail au centre du système économique, ou une énième tentative de soumettre le travail à la volonté du capital ? Je pense qu’au vu des processus mis en œuvre à l’égard du travail, de sa flexibilisation et de sa précarisation, la réponse à cette question ne fait aucun doute. Il ne faut cependant pas éluder que le MEDEF représente les intérêts du patronat, et que la condescendance exercée à l’égard des travailleurs (comparaison des heures travaillées entre pays, critique des mouvements syndicaux, remise en question du droit du travail permanente…) est récurrente. C’est sur ces bases que de telles propositions peuvent prendre racine.
Mais comment demander aux travailleurs de travailler plus, quand ceux-ci sont de plus en
plus soumis à la pression, à l’insécurité de l’emploi, à la remise en question de leurs droits ?  D’autant plus que la productivité des travailleurs français est déjà bien au dessus de la moyenne européenne. Ce genre de proposition ne relève en aucun cas d’une concertation, encore moins d’une Union Sacrée pour relancer l’économie par l’effort collectif. Et pourtant, si cet article s’attache à démonter l’argumentaire de Pierre Gattaz, on souligne dans d’autres quotidiens, à l’instar du Figaro, « Les témoignages d'entrepreneurs irrités par une telle perte de vitesse » -causé par les jours fériés-, ce qui place implicitement le travailleur dans la peau du responsable, puisque celui-ci ne vient pas travailler et contribue de fait à faire plonger un peu plus l’économie.

Hors les jours fériés sont pour une majorité, des points essentiels dans l’organisation des loisirs et des activités : Les weekends de 3 jours, Noel… sont un ensemble d’occasions propice à la dépense d’argent, à l’organisation de voyages, etc. Si Pierre Gattaz semble en mesure de quantifier – très approximativement et de façon optimiste- le surplus de croissance amené par une suppression de deux jours fériés, il devrait être en mesure de quantifier la perte sèche pour les commerces et autres institutions liées aux loisirs.

Alors que l’on peut observer que le travail n’est plus une source d’enrichissement (contrairement au patrimoine, à la « rente »), comment expliquer de la part d’un homme du rang de Pierre Gattaz de telles idées ? Ne s’agirait-il pas, une fois de plus, de rendre le travailleur responsable d’une situation qu’il n’a jamais conduit à instituer ? On peut légitimement s’interroger sur ce point. Car il me semble aberrant de voir le travail comme la solution providentielle pour la relance économique, alors que l’on déconstruit toutes les structures qui visent à sécuriser celui-ci pour le rendre plus incertain et concurrentiel, en espérant inciter dans ce contexte les travailleurs à renoncer à deux jours fériés pour l’intérêt –suprême- de la croissance. 


Benjamin Cauchois

(http://www.liberation.fr/politiques/2014/09/26/au-medef-l-intox-ne-connait-pas-de-jour-ferie_1108091)

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