Un article de
Radio-Canada parut le 27 novembre dernier relatait l’histoire de Mostafa Annaka, immigrant égyptien, qui,
après avoir publié une vidéo expliquant sa difficulté à se trouver un emploi en
tant qu’immigrant hautement qualifié au Québec, s’était finalement fait
embaucher par une entreprise à Trois-Rivières. Selon les dires de M.Annaka, après
avoir entamé des démarches auprès de plus de 1000 potentiels employeurs qui étaient
restées sans suite, « c'est
important de se remettre debout et de continuer à persévérer[1] ».
Son cas n’est pourtant pas unique; des milliers d’immigrant.es peinent à se
trouver un travail qui correspond à leurs compétences professionnelles au
Québec. Cependant, depuis le
début de l’année 2017, on dénote une certaine volonté politique de la part de
l’administration Couillard de favoriser l’intégration de la population
immigrante qualifiée sur le marché du travail. En effet, le gouvernement
provincial mutliplie les stratégies pour
tenter de pallier l’exclusion des immigrant.es de certaines sphères d’emplois qui
s’opère, entre autres, à travers une déqualification presque systématique des
diplômes étrangers : L’injection de plus de 300 000$ dans le programme
« un emploi en sol québécois », conclusion d’une entente avec les
ordres professionnels pour faciliter la reconnaissance de diplômes étrangers le
mois dernier et l’adoption du projet de
loi 98. Or, force est de constater que ces mesures, bien qu’elles puissent
sembler à première vue prometteuses, ne prennent pas suffisamment en compte
certaines dynamiques sociales, économiques et culturelles ce qui pourrait
limiter ultimement leur efficacité. Il ne s’agit pas ici de nommer des
problèmes sans solution et de critiquer toute tentative politique à ce sujet qui
s’apparente à du stratège électoral. Le but est de procéder à une brève analyse
des pratiques en matière d’intégration des immigrant.es sur le marché de
l’emploi dans la province qui considère à la fois la discrimination systémique,
les trajectoires intersectionnelles ainsi que la question de la représentation
syndicale.
1.État des lieux : Quand la réalité ne colle pas au
discours
« Tu travailles comme la machine qui
est devant moi, il faut pas arrêter,
il faut pas tourner la tête, il faut pas
faire ceci . . .
Ce travail m'a détruit moralement, c'est
vrai. »[2]
-Feirouz, biologiste originaire de l’Afrique du Nord
travaillant maintenant dans une manufacture
La province québécoise s’est
dotée de la mission, par certaines mesures législatives ou stratégies
politiques, de promouvoir la pleine intégration des nouveaux arrivants et
favorise les migrantes et les migrants hautement qualifiés dans les processus
de sélection. Or, la réalité ne colle pas au discours et la déqualification des
diplômes s’opère presque systématiquement. En effet, on enregistre un taux de déqualification
des diplômes de 31% chez la population immigrante[3]
qui va se redigirer vers des emplois
précaires ce qui peut augmenter leur vulnérabilité économique tout en
alimentant une vision raciste de l’immigrant.e qui est en cantoné dans un rôle
de citoyen.ne de seconde classe.
Cependant, bien que plusieurs se résoudent à occuper
des emplois qui ne sont pas forcément en lien avec leur domaine d’étude,
certains immigrant.es qualifi.ées parviennent toutefois à faire valoir leurs
acquis scolaires et à obtenir une équivalence de diplôme ou du moins, à accéder
à des formations universitaires. Encore à ce niveau, plusieurs problématiques
persistent. Tel que rapporté par Myrlande Pierre, « beaucoup d’employeurs
jugent les immigré.es d’après la couleur
de leur peau et entretiennent des préjugés sur leurs habitudes de travail (…)
leurs compétences sont souvent remises en question par certains employeurs et
certains collègues et ce, même lorsqu’elles occupent un emploi pour lequel ils
sont surqualifiés »[4]. Il est également important de mentionner que la
reconnaissance difficile, tant au Québec qu’au Canada, des diplômes obtenus à
l’étranger s’explique par les procédures complexes qui y sont associées. En
effet, la démarche est extrêmement longue et couteuse, « manque de
transparence [5]»
et, dans plusieurs cas, n’est tout simplement pas accessible pour certains en
raison, notamment, de certaines stratégies familiales ou situations économiques.
Par ailleurs, les ententes
passées entre le gouvernement Couillard et les ordres professionnels ne
visaient pas à revoir les critères d’éligibilité mais bien de restructurer le
processus d’accompagnement ce qui soulève certaines intérrogations quant au
caractère très spécifique de la déqualification.
1.2 La déqualification au féminin : Quand le racisme et
le sexisme prennent le dessus
« Une femme immigrante qui se fait
professionnelle ici, c’est différent que lorsque tu arrives en 1975 avec un
diplôme, comme celui de médecin, obtenu dans un pays qualifié de sous-développé
ou du Tiers-monde. […] C’est comme avoir un titre maudit. »[6]
-Elsa,
médecin dans son pays d’origine en Amérique latine
De plus, comme
la plupart des grands maux qui affectent l’humanité, la déqualification des
diplômes étrangers ainsi que l’exclusion de la population immigrante au Québec de
certains types d’emplois affectent principalement les femmes immigrantes en
raison des inégalités socio-culturelles de genre qui persistent au Québec ainsi
que des trajectoires intersectionnelles. Dans la région de Montréal, on
enregistre, chez les immigrantes issues d’une minorité visible récemment
arrivée en sol canadien, un taux de déqualification des diplômes universitaires
de 44%, alors que chez les homologues masculins le taux est nettement inférieur,
soit de 28%[7].
De plus, selon une étude menée par
Marie-Thérèse Chica, près de 29% des femmes immigrantes issues d’une minorité
visible arrivées au pays depuis moins de cinq ans vivent sous le seuil de la
pauvreté[8]
et on enregistre un taux de chômage de près de 12% chez ces dernières alors que
chez les femmes « natives » il n’est que de 5,3%[9].
Il est également important de
mentionner qu’au niveau des politiques fédérales et des programmes relatifs à
l’intégration des immigrants et immigrantes, on persiste à entretenir une vision de la femme immigrante comme
une « mère » et de l’homme comme le pourvoyeur de la famille ce qui a
des répercussions considérables sur
la perception collective de la femme immigrante et son accès au marché du
travail. En effet, tel que
rapporté par Celia Rojas-Viger, « l’idéologie des politiques du Canada et
du Québec consiste à traiter les questions d’immigration sous l’angle du genre
masculin, fait en sorte que le statut de la femme est assujetti à celui de
l’homme (…)[10] ».
Plus spécifiquement, ceci se traduit par une perception qui dé-professionnalise
les migrantes et un processus de déqualification des diplômes acquis à
l’étranger alors, qu’initialement, pour obtenir le statut de résident permanent
ou la citoyenneté canadienne, il faut, dans la majorité des cas, certaines
qualifications scolaires et linguistiques.
3. Conclusion :
Des mesures qui pourraient s’avérer complètement obsolètes
« J’ai appris à l’école polytechnique, j’ai travaillé,
j’ai pris des cours, j’ai une bonne connaissance de base, toutes les choses que
j’ai apprise quand je travaillais dans mon département, je peux me développer
très vite. On répond « ah non il faut avoir de l’expérience » [11]
-Yulenka
Dans ce contexte, les récentes mesures adoptées par le
gouvernement Couillard pouraient se révéler inutiles puisque, sur un premier
plan, elles ne considèrent pas les conditions particulières et la situation
spécifique des femmes immigrantes qui sont majoritaires dans les processus de
déqualification ce qui ne règle en aucun cas le problème. Sur un second plan,
injecter que 300 000 dollars dans une stratégie d’intégration en emploi est
trop peu si l’on considère le nombre d’immigrant.es qualifié.es qui peinent à
se trouver un emploi qui correspond à leurs compétences professionnelles. Par
ailleurs, il persiste certains flous quand au projet de loi 98 ainsi que qu’à
l’entente entre le gouvernement provincial libéral et les ordres
professionnelles. En effet, nous ne pouvons que nous questionner sur le rôle
que le gouvernement aura dans les discussions à venir. En d’autres termes,
est-ce qu’il encadrera les discussions, comment s’assurera-t-il que les ordres
professionnelles adoptent certaines mesures qui devraient faciliter
l’intégration et quel sera le rôle des syndicats ?
Pour conclure,
nous pouvons également relever le fait que la Commission d’enquête sur la discrimination
systématique au Québec qui devrait avoir lieu cet automne a été annulée par le
gouvernement libéral ce qui aurait pourtant permis de mettre en lumière
certaines dynamiques sur le marché de l’emploi. Par ailleurs, l’adoption d’un
projet de loi sur la neutralité religieuse doit faire sourcillier puisqu’elle
entravera indirectement l’accès au marché du travail et encourage une certaine
forme de racisme qui ciblera, encore une fois, les femmes en raison, entre
autres, du port du voile.
Par Justine Chenier
[2] Chicha,
Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et intersectionnalité : la
déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24 (1) 2012 : 82
[3] Chica,Marie-Thérèse.
« Le mirage de l’égalité : Les immigrées hautement qualifiées à
Montréal ». Rapport de recherche de la fondation canadienne des rapports
raciales. Septembre 2009. En ligne : http://www.cc-femmes.qc.ca/documents/MTChicha_MirageEgalite.pdf
[4] Pierre, Myrlande. « Les facteurs d’exclusion faisant
obstacle à l’intégration socio- économique de certains groupes de femmes
immigrées au Québec » Nouvelles pratiques sociales, 17(2) 2005. p.86
[5] Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et
intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24
(1) 2012 .
p.97
[6] Celia Rojas-Viger «
Femmes professionnelles latino-américaines à Montréal : conditions d’insertion
dans le milieu universitaire et au marché du travail1 » Les Cahiers du Gres,
vol. 6, n° 1, 2006, p. 25-43. http://id.erudit.org.proxy.bibliotheques.uqam.ca:2048/iderudit/012681ar
[8] Chicha, Marie-Thérèse. «
Discrimination systémique et intersectionnalité : la déqualification des
immigrantes à Montréal » Canadian Journal
of Women and the Law 24 (1) 2012. p.86
[9] Chica,Marie-Thérèse.
« Le mirage de l’égalité : Les immigrées hautement qualifiées à
Montréal ». Rapport de recherche de la fondation canadienne des rapports
raciales. Septembre 2009. En ligne : http://www.cc-femmes.qc.ca/documents/MTChicha_MirageEgalite.pdf
[10] Celia Rojas-Viger « Femmes
professionnelles latino-américaines à Montréal : conditions d’insertion dans le
milieu universitaire et au marché du travail » Les Cahiers du Gres, vol. 6, n°
1, 2006, p. 43
[11] Chicha, Marie-Thérèse. « Discrimination systémique et
intersectionnalité : la déqualification des immigrantes à Montréal » Canadian Journal of Women and the Law 24
(1) 2012 : p.
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