mercredi 18 septembre 2013

Placement syndical et ingérence étatique


C’est lundi dernier, le 9 septembre 2013, que la Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction est officiellement entrée en vigueur. En effet, les entrepreneurs désirant embaucher des travailleurs pour un contrat dans l’industrie de la construction doivent désormais passer par l’intermédiaire de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Les syndicats ne peuvent plus placer directement leurs membres chez les employeurs qui cherchent de la main-d’œuvre, ils peuvent uniquement référer des travailleurs à la CCQ qui transmettra elle-même des listes d’employés potentiels aux entrepreneurs. Cette ingérence de l’État au sein des relations entre patrons et travailleurs de la construction a soulevé la grogne des syndicats qui se sont tout de même pliés à la loi en demandant leur permis du ministère du travail pour référer leurs membres. En adoptant cette loi, l’Assemblée nationale vise à enrayer les monopoles syndicaux sur les grands chantiers de construction qui ont laissé place à de nombreux abus de la part de ces derniers, entre autres au niveau du placement préférentiel et de la concurrence déloyale entre les travailleurs qualifiés (Québec, 2011).

Cette loi octroie au gouvernement un droit d’ingérence dans les relations entre les patrons et les syndicats se traduisant par un droit de regard concernant le placement des travailleurs sur les chantiers de construction. Cette situation porte à réfléchir notamment sur le rôle de l’État dans les relations patronales-syndicales qui fut historiquement nécessaire afin d’instaurer de meilleures conditions pour les travailleurs, d’établir un salaire minimum et des bases à un droit du travail (Castel, 1995). Ainsi, l’État a joué un rôle fort important lors des grandes luttes syndicales afin de règlementer ces situations conflictuelles entre patrons et employés. En effet, le développement des syndicats, appuyés par l’État, à l’aube de la société salariale (Castel, 1995) amenait alors un meilleur niveau de vie pour les ouvriers et des conditions sociales assurant un minimum vital à tous les membres de la société. Cette nouvelle ingérence accueillie plutôt froidement par le milieu syndical vient en quelque sorte replacer une certain équité au sein des travailleurs puisqu’elle les rend également susceptibles d’être embauchés sur un chantier de construction donné sans égard à leur syndicat d’appartenance, équité qui a sérieusement été remise en cause lors des travaux ayant menés à l’adoption de cette loi (Québec, 2011). Historiquement, le rôle de l’État a été orienté vers des politiques sympathiques à la cause syndicale et défendant les droits des travailleurs, optimisant ainsi les conditions de vie de l’ensemble de la société. Ce rôle semble ici être devenu plutôt un modérateur de pratiques syndicales abusives et vient même instaurer une loi favorable aux patrons qui verront leur liberté face à la sélection des travailleurs accrue.

Cette situation porte donc à réfléchir sur le rôle que l’État a joué historiquement dans l’organisation des luttes syndicales et sur la tournure que semble prendre ce rôle modérateur, mais aussi sur les organisations syndicales elles-mêmes qui semblent dans ce cas avoir perdu de vue leur raison d’être fondamentale. 

Castel, R., 1995, «La société salariale», Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, p. 601-620.
Québec, 2011, Industrie de la construction - Un projet de loi pour éliminer le placement syndical, mettre fin à l'intimidation sur les chantiers et améliorer le fonctionnement de l'industrie de la construction, Gouvernement du Québec.

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