Nous
avons donc la le prototype de la méchante grosse entreprise pétrolière faisait
face au régiment d’écolos gauchistes syndiqués et autres amis du genre humain
dont raffolent les quotidiens, je caricature. Mais justement, ne simplifions
pas les choses, puisqu’il y a bien plus qu’une lutte idéologique derrière ce
conflit. Pour mieux percevoir toutes les implications derrière celui-ci,
dressons un bref historique des différents acteurs à considérer lors de conflits
reliés au travail, afin de nous permettre également de constater comment les
choses se sont complexifiées.
Tout
d’abord, on peut communément se représenter l’opposition qu’il peut exister
entre les intérêts de l’employeur et des employés. Cette vision des conflits au
travail a notamment été popularisée par Karl Marx, qui opposait la bourgeoisie
au prolétaire, les entrepreneurs aux salariés pour utiliser des termes plus
actuels. Marx appelait alors à un mouvement collectif de la part des ouvriers
afin qu’ils puissent se libérer de leur dépendance face à leur employeur. On
peut aujourd’hui percevoir une certaine atteinte de cet objectif (bien que nous
sommes bien loin du communisme !) avec l’apparition des syndicats dans la
plupart des pays occidentaux industrialisés depuis la deuxième moitié du 19e siècle environ[2].
En effet, le syndicat permet aux travailleurs d’utiliser la force de leur
nombre afin de pouvoir obtenir certaines revendications face à leur employeur,
en plus de la reconnaissance légale qui l’accompagne habituellement. De plus,
avec le développement d’un «État protecteur» dans les années 1960[3],
les travailleurs possèdent maintenant certaines protections qui sont assurées
par l’État, bien que nous assistons présentement à une baisse significative de
ces protections[4].
Nous pouvons donc désigner sommairement trois acteurs possiblement impliqués
lors de conflits dans le milieu de travail : l’État, l’entreprise ou
l’employeur et finalement les syndicats. À ajouter qu’un quatrième acteur est
dorénavant présent depuis que nous sommes entrés dans une société dite
«post-industrielle», celle des actionnaires, qui possède de plus en plus
d’emprise sur les décisions qui sont prises[5].
Le
cas du conflit de la PRE est particulièrement intéressant puisqu’il illustre
parfaitement dans quelle complexité nous devons analyser les différents
conflits reliés au travail contemporain. Tous n’ont pas la chance de travailler
dans un pays occidental industrialisé, dans une entreprise syndiquée ou du
moins avec une sécurité d’emploi relative, doublé de protection sociale
assurée par son État. En effet, nous
avons ici affaire à un énorme bassin d’employés contractuels qui sont engagés
en sous-traitance sur des périodes de 28 jours, et ce, sur une base
renouvelable à l’intérieur de conditions de travail non-réglementés laissés à
la discrétion de l’employeur en place. Sans considérer le fait que cette
situation place le travailleur dans une situation très précaire où il ne
possède pratiquement aucune protection et garantie vis-à-vis son travail, on
peut aussi se questionner sur la difficulté de ces travailleurs d’organiser une
action collective avec une pareille mobilité de la main-d’œuvre. De plus,
lorsqu’ils le font à travers des manifestations locales, ils obtiennent en réponse
une intervention militaire dirigée par leur gouvernement. Pour ce qui est de la
protection syndicale, l’entreprise renie une entente auparavant signée avec
l’USO, le syndicat pétrolier national, qu’elle accuse d’être une organisation
terroriste afin de miner sa crédibilité. Des recours juridiques par l’USO sont
présentement en cours en ce sens. Autrement, les employés qui affichent une
filiation à l’USO risquent le congédiement ou des menaces de mort. À ce sujet,
certains actionnaires de la compagnie ont été accusés en justice d’avoir fait
l’acquisition de médias colombiens afin de taire toutes allégations sur ce
conflit. En ce qui concerne l’État, une seconde complexité vient s’ajouter du fait
que le conflit concerne les relations internationales entre le Canada et la
Colombie et non seulement la Colombie. Qui plus est, au sein même du Canada,
des revendications du parti politique provincial Québec Solidaire ont été
émises à l’intention du gouvernement fédéral.
Et
l’action collective dans tout ça ? Elle se fait par le biais de nombreuse
organisation syndicale, politique, sociale et internationale regroupées qui
tente d’augmenter la visibilité de ce conflit et de faire appel au système
juridique. Le tribunal populaire, bien que seulement symbolique, symbolise
justement cet effort d’élaboration d’un mouvement collectif. Autrement,
d’autres actions de visibilités ont été menées, notamment une perturbation de
l’assemblée des actionnaires de la compagnie, afin de confronter ceux-ci devant
ce conflit. Bref, le marché du travail contemporain a ceci de particulier qu’il
se trouve à la jonction d’une multitude de «champs», pour reprendre une
expression du sociologue Pierre Bourdieu, qui possèdent chacun leur propres
lois et manières d’aborder une problématique, mais qui se confronte néanmoins à
l’occasion d’un conflit. Dans le cas qui nous intéresse, énumérons par exemple
le champ politique, économique, syndical, mais aussi les champs médiatiques,
juridiques, communautaires, environnementaux, culturels et celui des relations internationales.
La pluralité des différentes sources d’influences au sein d’une même lutte
illustre bien qu’un conflit ne concerne jamais simplement que le marché du travail
et les acteurs impliqués, mais bien l’ensemble du contexte sociétal plus large
dans lequel il se loge.
[1] L’ensemble
des informations factuelles sur le conflit proviennent du rapport émis par le PASC
à ce sujet accessible en ligne : http://www.pasc.ca/fr/article/rapport-audience-contre-la-p%C3%A9troli%C3%A8re-canadienne-pacific-rubiales-energy,
consulté le 19 septembre 2013.
[2]
Gagnon,
M.-J., & Institut québécois de recherche sur la culture (1994). Le
syndicalisme : état des lieux et enjeux. Québec: Institut québécois de
recherche sur la culture.
[4]
Bernier, N.
F., Bernier, N. F., & ebrary Inc. (2003). Le désengagement de l'État
providence. Montréal, Que.: Presses de l'Université de Montréal.
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