Le 16 septembre dernier, le Daily Maverick, journal 2.0 de l’Afrique du Sud,
rapportait de nouveaux développements sur une tout autre commission que celle
qui fait compétition aux Feux de l’Amour sur les chaînes câblées du Québec[1].
Nommée Marikana, du nom de la ville où ont eu lieu les événements peu glorieux
qu’elle a la charge de clarifier, cette commission recevait la semaine passée les
révélations d’un lieutenant colonel mettant à jour un travail d’effacement
d’informations et de réarrangements des faits effectués par le South Afrikans Police Services (SAPS).
Un des évènements les plus marquants de cette grève où 44 personnes auraient
perdu la vie, comme le rapportait le New York Times à l’époque[2],
fut le jour où la police aurait ouvert le feu sur un groupe d’environ 3000
mineurs, images qui ont fait le tour du monde à l’époque. Bien que la
commission ne soit pas encore arrivée à son terme, il est déjà possible de
tirer certaines conclusions en tablant sur ce qui est maintenant de notoriété publique.
Il faut
d’abord replacer rapidement ces évènements dans l’histoire récente de l’Afrique
du Sud. La journaliste et auteur Naomie Klein décrit comment l’arrivé au
pouvoir de l’ANC (African National
Congress) à la fin de l’apartheid et les dix ans qui ont suivi n’ont pas vu
se réaliser les promesses de nationalisation de l’économie et de redistribution
des richesses. C’est que le message envoyé par les influents dirigeants européens à cette époque était qu’il fallait suivre les lumières des théories
néolibérales en cette période où venait de s’effondrer le régime soviétique :
« If Moscow had given
in, how could a raggedy band of freedom fighters in South Africa resist such a
forceful global tide? »[3]. C'est donc un peu
plus de 10 ans plus tard, période durant laquelle le pourcentage de sud-africains
noirs sans travail aurait plus que doublé[4] qu'a eu lieu cette grève de mineurs. Tout ça dans un pays où il existe un droit
du travail où, en théorie, les gens ne devraient plus être discriminées sur la
couleur de leur peau et où est assuré le droit à la grève et à manifester.
Comme l’ont appris beaucoup d’étudiants et d’étudiantes au printemps 2012
au Québec, ce qui pour certains s’appelle une grève où une manifestation
pacifique pourra être envisagée différemment par ceux qui s’assurent de l’ordre
public; l’absence d’un plan de parcours, un lancer d’une balle de neige ou d’un
feu d’artifice pourront délégitimer l’événement et rendre légitime la
répression par la force et les sanctions monétaires. Ce qui a été appris par
les travailleurs de la mine de platine le jour des évènements tristement
célèbres c’est que le système de négociation tripartite entre le gouvernement,
les entreprises et les syndicats ne tolérait pas une déviance aux protocoles
habituels. Peter Alexander, auteur d’un livre sur les événements, décrit
comment le cadre législatif permet des grèves où le travailleur est protégé,
mais seulement à la suite de longues procédures. Dans le cas de leur non-respect,
les travailleurs ne sont pas protégés, le groupe aurait aussi grevé sans l’autorisation
ou l’appui du syndicat majoritaire :
« workers have gone on
strike without them being protected; that is they are unprotected strikes
(sometimes referred to wrongly as illegal strikes) and they have challenged the
majority union, NUM, and hence its capacity to continue to benefit from the
check-off arrangements, and a number of other aspects we can talk about. [5]»
Dans cette
grève d’une partie des travailleurs d’une mine de platine appartenant à
l’entreprise britannique Lonmin on
voit l’aboutissement contemporain de certaines des conditions menant à la
« Société Salariale » décrite par Robert Castel, surtout la
cinquième : « l’inscription dans un droit du travail qui reconnaît le
travailleur en tant que membre d’un collectif »[6].
Toutefois, cette dernière semble compromise par certaines pratiques
managériales. Comme le prévient Omar Aktouf, les avancées dans la compréhension
du cadre informel du travail permettent un nouveau type de contrôle par
l’employeur : « Dans la visée pratique, on s’est attaché très vite à
déceler les facteurs d’attraction entre les personnes pour canaliser le
fonctionnement des groupes dans le sens des intérêts des dirigeants »[7].
Dans la mine de Marikana, Peter Alexander décrit la manière dont les dirigeants
syndicaux seront payés trois fois plus que les employés normaux par la
compagnie et auront différents privilèges ce qui, à son avis, pourrait
corrompre ce système où les revendications passent obligatoirement par les
syndicats et empêcher le travailleur de faire valoir ses revendications au sein
d’un collectif :
« So, the character of NUM and its
relationship to the government and the mining companies create all sorts of
possibilities for careerists, and indeed for corruption, and a very large part
of the current rebellion in the mines is a rebellion against the NUM leadership
as well as against the mining companies. » [8]
Cela
trace la toile de fond des évènements de 2012. Un groupe de travailleurs de la
mine dont les conditions de travail étaient particulièrement difficiles décide
de protester. Ils ne réussissent pas à se faire entendre de leurs principaux
syndicats, ni des dirigeants de l’entreprise qui ne veulent pas négocier avec
eux. Les forces de l’ordre gouvernementales font usage d’une violence excessive
et peut-être planifiée à la suite de corruption, du moins, d’après les
développements de la semaine dernière.[9]
L’étude des nouveaux éléments et de nouveaux témoignages permettra possiblement
de comprendre l’intervention brutale de la police. S’agissait-il des
représentants de l’usine qui voulaient une reprise des activités, du syndicat
majoritaire qui craignait pour son monopole, de corruption plus profonde de
l’état aux politiques néolibérales? S’il se peut que la commission ne permette
pas d’aller au fond des choses, ce qui est certain ici, c’est que les politiques
managériales qui subvertissent le syndicat rendent le mineur impuissant,
incapable de faire entendre sa voix par les canaux traditionnels maintenant
déviés et obstrués.
[1]Greg Marinovich et Greg
Nicolson, «Marikana Commission: Lies, videotapes and the
police's crumbling wall of deceit», Daily
Maverick, 16 septembre 2013, <http://www.dailymaverick.co.za/article/2013-09-16-marikana-commission-lies-videotapes-and-the-polices-crumbling-wall-of-deceit/#.Uj8QpOCUFU->.
[2]
Lydia Polgree, « Mine Strike Mayhem Stuns South Africa as Police Open Fire», The New York Times, 16 Août 2012,
<http://www.nytimes.com/2012/08/17/world/africa/south-african-police-fire-on-striking-miners.html?_r=0>
[3]Naomie
Klein, The Schock Doctrine, Metropolitan
Books, Henry Holt and Company, New
York, 2007, p. 216.
[5]
International Socialism et Peter Alexander, «Interview: South Africa
after Marikana», International Socialism,
Num. 137. 8 Janvier 2013. <http://www.isj.org.uk/index.php4?id=865>
[6]
R. Castel. Les métamorphoses de la
questions sociale : une chronique du salariat, collection «folio
essais», Gallimard, France, 1995, p. 543.
[7]
Omar Aktouf, «Elton Mayo et les sciences du comportement face au management du
comportement organisationnel», dans « Le management : entre renouvellement
et tradition», Gaetan Morin Éditeur, Montréal, p. 177.
[8]
International Socialism et Peter Alexander, «Interview: South Africa
after Marikana», International Socialism,
Num. 137. 8 Janvier 2013. <http://www.isj.org.uk/index.php4?id=865>
[9]
Greg Marinovich et Greg Nicolson, «Marikana Commission:
Lies, videotapes and the police's crumbling wall of deceit», Daily Maverick, 16 septembre 2013, <http://www.dailymaverick.co.za/article/2013-09-16-marikana-commission-lies-videotapes-and-the-polices-crumbling-wall-of-deceit/#.Uj8QpOCUFU->.
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