À la fin du mois d’août dernier, Aux
États-Unis, des milliers de travailleurs de chaînes de restauration rapide font
la grève devant leurs succursales respectives pour dénoncer leur situation en
tant qu’employés de ce type de commerces et sur leurs conditions de vie,
corollairement. Des problèmes sont décriés, l’insuffisance du taux de
rémunération au premier chef. Chez nos voisins américains, le salaire minimum moyen y est de neuf dollars de l’heure, un taux de rémunération qui ne suffit
plus à subvenir aux besoins de base. Une fois de plus dans l’histoire, nous
nous trouvions donc face à une situation bien connue, celle de l’opposition d’employés
demandant une amélioration de leur condition salariale à des employeurs
réticents, plaidant une menace à leur compétitivité et à la rentabilité de
leurs entreprises.
Dans son analyse historique de l’évolution
des conditions de travail et salariales de la classe ouvrière, Robert Castel
avait identifié cinq éléments permettant d’identifier un changement de type de
rapport salarial, de l’ère de l’industrialisation du 19e siècle à ce
qu’on appellerait à posteriori le rapport salarial «fordiste» ayant émergé
durant la première moitié du 20e siècle[1].
En comparant ces cinq conditions qui furent alors remplies à la situation de la
catégorie de travailleurs qui nous occupe actuellement, on peut constater que certains
renversements seraient survenus.
D’abord, des politiques pour le
moins agressives avaient étaient mises en place pour séparer les travailleurs
actifs des inactifs, tout en essayant d’insérer et de réguler ces derniers. On
recherchait l’efficience dans la production et la réduction du chômage et c’est
l’employé qui était mis en faute pour l’irrégularité des heures travaillées,
irrégularité que les politiques publiques s’efforçaient d’éliminer. Dans le cas
de la restauration rapide, il semble plutôt que l’irrégularité des heures
travaillées n’est plus du ressort ni des employés, certains désirant
vraisemblablement travailler davantage pour pouvoir joindre les deux bouts, ni
de l’État américain, qui combat un taux de chômage jugé inquiétant mais qui
n’applique plus de politiques de matage des employés irréguliers et des
«indigents valides». Au final, l’irrégularité du temps de travail semble
aujourd’hui être davantage le fait des méthodes managériales employées par ces
différentes multinationales de la restauration rapide.
«L’accès par l’intermédiaire du
salaire à de nouvelles normes de consommation ouvrières» constituait une autre
condition à l’évolution du rapport salarial. Par un salaire plus généreux,
l’employé, jusqu’alors tenu à distance du rôle de consommateur, pouvait
maintenant améliorer un tant soit peu ses conditions de vie. Or, comme
mentionné précédemment, le salaire offert aux employés de la restauration
rapide semble bien insuffisant pour combler même les besoins de base. La
pauvreté semble bien mieux définir leur situation que celle de l’accès à un
«nouveau registre de l’existence» par un pouvoir d’achat bonifié.
La condition de «l’accès à la
propriété sociale et aux services publics» renvoie quant à elle, entre autres,
à l’instauration des premières assurances sociales pour les travailleurs. De
retour en Amérique en 2013, bien que toujours existantes et améliorées depuis,
ces mesures de protection ne couvrent pas toujours toutes les catégories de
travailleurs, comme ceux travaillant moins d’un nombre déterminé d’heures. Bien
conscients de l’existence de ces critères d’éligibilité, des employeurs peuvent
décider de limiter le temps de travail de leurs employés en deçà du seuil à
partir duquel ils devraient fournir certaines protections[2]. Or,
comme mentionné précédemment, le nombre d’heures travaillées n’est plus
totalement contrôlé par l’employé. Du côté des politiques publiques, des
questions doivent être posées quant à leur capacité à supporter adéquatement
les ménages les plus nécessiteux alors qu’une lutte politique pour rendre plus
inclusif le système de santé fédéral a récemment pris place.
Alors qu’auparavant, on percevait
le rapport salarial comme le résultat d’une entente de gré à gré entre deux
acteurs égaux, l’employeur et l’employé, le début du 20e siècle est
également le théâtre de changements dans la perception du statut social de ce
dernier. On lui accorde dès lors un statut qu’il partage avec ses semblables,
statut auquel correspondent certains droits et une reconnaissance juridique
permettant un rééquilibre dans les rapports de forces avec l’employeur. De nos
jours, les États-Unis ont légiféré sur les droits des travailleurs. On a établi
un salaire minimum, des lois encadrent les conditions de travail, et certains
secteurs d’emploi sont syndiqués. Pourtant, la situation de ces travailleurs
des fast foods n’est pas sans rappeler
celle de rapports contractuels individuels entre eux et leurs employeurs vus il
y a plus d’un siècle. La représentation collective face à un employeur étant quasi-impossible
dans ce milieu où le taux de syndicalisation est pratiquement nul, les employés
n’ont tout simplement pas le pouvoir de négocier leurs conditions de travail
face à un employeur se trouvant devant un abondant marché de main d’œuvre grâce
auquel il pourra remplacer un employé jugé indésirable.
La dernière condition, qui
consistait entre autres en une rationalisation de l’espace et des méthodes de
travail ainsi qu’une régulation serrée du temps, semble quant à elle trouver
plus de points communs avec la catégorie d’emploi ici étudiée. Le contrôle de
la production et le minutage des tâches, par exemple, y sont toujours de mise
dans une certaine proportion[3].
Bien qu’incomplets et en manque
d’une perspective socio-économique et politique plus large, manque auquel
s’ajoute la difficulté de comparaison de différents contextes historiques, les
constats décrits ici soulèvent forcément une question. Comment se comparent les
conditions de travail de la classe ouvrière occidentale de l’époque et ce qui
semble être celles des employés de restauration rapide américains
contemporains? Rappelons finalement que depuis la crise de 2008, beaucoup
d’emplois perdus ont été remplacés par des emplois à bas salaire comme ceux de
la restauration rapide, et que similairement, depuis 2008, le profil des
employés y travaillant s’est modifié. On voit maintenant beaucoup plus
d’adultes, et de jeunes parents pour qui ces emplois sont sensés être la source
de revenu leur permettant de vivre[4]. Aux
États-Unis, l’absence de syndicats dans ce milieu serait entre autres explicable
par le fort roulement des employés qu’on y retrouve. Avec l’arrivée depuis
quelques années d’un nouveau type de travailleurs dans ces commerces, là pour
tenter de gagner leurs vies à plus long terme, peut-être y observera-t-on une nouvelle
solidarisation.
Louis Rivet-Préfontaine
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