mercredi 18 septembre 2013

Au delà de l'ignorance, de la xénophobie et de l'instrumentalisation politique, que nous révèle la Charte sur la place faite au pluralisme dans la fonction publique ?






Un article publié dans le Devoir du 12 septembre dernier faisait état de la publicité qu’un hôpital ontarien publiera sous peu dans un journal étudiant de l’université McGill, profitant des débats autour de la Charte des valeurs québécoises pour venir recruter des professionnels de la santé au Québec voir l'article. La publicité, qui présente une jeune médecin voilée, souriante, l’œil intelligent et pleine d’assurance, m’a vivement interpellée, en ce qu’elle narguait de manière frontale le débat qui a présentement cours au Québec. Le Devoir a traduit le slogan de la publicité par « On ne se soucie pas de ce qui recouvre votre tête, mais de ce qui est dans votre tête ». Une réponse claire, sans ambiguité, qui donne à réfléchir sur la tournures des débats de ce côté de la rivière.

Crucifix ou pas, qu'en est-il de l'intégration socioéconomique, de la dignité et du pain ?

Je n’ai pas l’intention de m’attarder ici sur le caractère aberrant de nombreuses déclarations faites par les membres du PQ (ils ne sont évidemment pas les seuls, mais ils gagnent sûrement la palme), ni sur l’instrumentalisation d’un ressentiment identitaire présent dans la population québécoise à des fins électorales, malaise incroyablement moussé et attisé par les médias. Au contraire, je veux insister sur le fait que le débat actuel ne concerne pas que les questions de valeurs, identitaires ou religieuses, mais aussi, et surtout - dans les faits - , l’intégration socioéconomique des immigrants plus ou moins récents, leur accès au marché du travail. Le travail étant le principal vecteur d’intégration et de reconnaissance sociale pour tous les citoyens, il me semble nécessaire d’insister sur cet aspect trop souvent éludé, parce que beaucoup plus complexe et méconnu du grand public. D’autant plus que l’emploi et l’accès à l’emploi ont subi des transformations profondes depuis les années 80, précarisation et flexibilisation des conditions de travail et d’embauche, explosion des catégories et des statuts d’emploi, transformations qui sont en train de redéfinir la structure et le lien social dans leur ensemble. Bref, ce qui me préoccupe, au delà de la xénophobie, du nationalisme ethnique et de l’ignorance, ce sont les nouveaux obstacles bien concrets à l’intégration socioéconomique des immigrants qui découlerait de l’adoption de la Charte dans son état actuel.

Au delà de ses nombreuses et tristes dérives, le débat autour de la proposition d’interdire le port de signes religieux ostentatoires [sic] dans les institutions publiques a en effet l’intérêt de donner à voir la relation intime qui existe entre les politiques d’intégration socioéconomique des immigrants et les politiques et débats plus larges autour des différents mode de gestion de la diversité ethnoculturelle. Les politiques d’accès à l’emploi dans la France postcoloniale, inspirées du modèle républicain de citoyenneté juridique, soit l’égalitarisme politique comme mode d’appartenance à la collectivité nationales, lequel refuse de voir dans l’appartenance à un groupe culturel, religieux ou linguistique la source d’un handicap à compenser par la loi, prennent des formes bien distinctes de celles inspirées du multiculturalisme canadien qui lui, place le pluralisme ethnique au centre de ses préoccupations et qui poursuivent l’objectif d’un renversement de la hiérarchie ethnique (en théorie, avec toutes les ratés qu’on lui connait) [1]. Politiques sociales générales et gestion de la compétition interindividuelle pour le premier, politiques antidiscriminatoires ciblées et création d’élites ethniques pour l’autre, ces dernières passant en grande partie par l’intégration des groupes minoritaires dans les instances publiques [2].

Pour sortir des lieux communs et des procès d'intention ...

Un retour sur l’évolution de la politique québécoise de gestion de la diversité ethnoculturelle et sur sa traduction dans les politiques d’accès à l’emploi et d’intégration socioprofessionnelle des nouveaux arrivants m’apparait nécessaire pour quiconque cherche à porter un regard socio-historique le moindrement critique sur les débats actuels autour du projet de Charte des valeurs québécoises.

Dès son adoption en 1975, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec inclut le droit au respect des cultures d’origine par l’interdiction de discrimination par la langue et l’origine ethnique ou nationale [3]. Seulement deux ans plus tard, la loi 101, qui entend faire du français le véhicule de communication et d’intégration des immigrants, est voté, suivi de La Politique québécoise de développement culturel en 1978. Cette dernière introduit la notion de « convergence culturelle », qui impose comme projet commun au trois groupes sociolinguistiques du Québec de se centrer sur l’épanouissement de la culture du groupe majoritaire francophone, selon Denise Helly, chercheur à l’INRS spécialisée dans les questions d’immigration, de droit et de politiques. Très rapidement, le retour à un « pluralisme culturel » est opéré [4] avec un l’objectif à long terme de « redressement énergique d’une situation anormale de marginalisation des communautés culturelles », marginalisation référerait surtout à la « faible présence des immigrés au sein du personnel et des instances décisionnelles des institutions publiques. » [5] Les mesures adoptées par le Parti québécois entre 1981 et 1985, dans la seule région de Montréal, demeurent par contre généralement symboliques. Il faudra attendre l’ascension au pouvoir du Parti libéral du Québec (PLQ) en 1985 pour voir entrer en vigueur un réel programme d’accès à l’égalité, notamment dans les services sociaux et de santé. Il apparaît clair que la problématique de la sous-représentation des minorités visibles dans les instances publiques, comme les solutions proposées, ne datent pas d’hier.

Il faudra par contre attendre les années 1990 pour que le PLQ introduise un changement majeur dans l’importance accordée à l’immigration, qui aurait pu laissé présagé un changement dans la perception de l’immigration dans la population. Dans un Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, l’immigration est présentée comme un facteur utile, voir indispensable au redressement démographique Québec, à son enrichissement économique et culturel ainsi qu’à son rayonnement dans le monde : « Dans un contexte d’indépendance et de mondialisation des phénomènes économiques, écologique et sociaux, la population québécoise accorde une grande importance à l’ouverture sur le monde et à la solidarité internationale […] les Québécois venus d’ailleurs sont contribué à enrichir la culture québécoise et ses institutions […]. » et un programme d’accès à l’égalité en emploi pour la fonction publique [6]. Suite à la lecture des grandes lignes de l’évolution de la politique québécoise en matière de gestion de pluralisme culturel (bien sûr non exhaustives), il paraît claire que la volonté du PQ, soutenu par une large part de la population, d’empêcher le port de signes religieux ostentatoires [sic] pour les employés des institutions publiques n’est pas. Il faut y voir un recul qui viendrait saper les efforts déployés depuis la naissance de la société québécoise - et non plus canadienne-française - pour tenter d’intégrer les immigrants, dont la présence sur son territoire n’a cessé de croître.

Dans les faits, une fonction publique non-représentative comme constante empirique, en dépits des politiques  

Ce qui me gêne particulièrement dans le débat actuel, c’est son caractère idéologique, totalement déconnecté de la réalité et de l’expérience vécue. Allant dans ce sens, l’ancien président du Conseil des relations interculturelles et ancien chef de cabinet du ministère des Communautés culturelles et de l’immigration sous René-Lévesque, Arlindo Viera, reproche au gouvernement Marois de ne pas avoir mené d’étude sur la représentation des minorités visibles dans la fonction publique avant de poser le diagnostique qu’il y aurait atteinte à sa neutralité voir l'article. Dans une entrevue accordée au Devoir, il soutient que la proportion de minorités visibles dans la fonction publique se maintient autour de 2 %, et qu’elle n’aurait pas augmenté depuis 10 ans, en raison d’obstacles systémiques importants auxquels l’application de la Charte ne viendrait qu’ajouter. De ce 2 %, quelle proportion auraient des convictions religieuses ? Puis de cette nouvelle proportion, combien pourraient donc être des fondamentalistes religieux ? Poser la question, c’est y répondre en soulignant son caractère aberrant. Plutôt que de s’occuper de ce que les gens portent et de leur faire des procès d’intention, c’est plutôt de la non-représentativité de la fonction publique québécoise qu’il faudrait s’inquiéter, d’autant plus qu’elle demeure une constante, malgré les politiques adoptées par les gouvernements successifs. Pourquoi ne pas se poser la question suivante et tenter d'être conséquent: quelle place sommes-nous réellement prêts à faire au pluralisme et à la diversité de notre société au sein de ses instances décisionnelles ?


Malaka Rached-d'Astous,
Candidate excédée à la maîtrise en sociologie, Université de Montréal

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