Un article publié dans le Devoir du 12 septembre dernier faisait état de la publicité qu’un hôpital ontarien publiera sous peu dans un journal étudiant de l’université McGill, profitant des débats autour de la Charte des valeurs québécoises pour venir recruter des professionnels de la santé au Québec voir l'article. La publicité, qui présente une jeune médecin voilée, souriante, l’œil intelligent et pleine d’assurance, m’a vivement interpellée, en ce qu’elle narguait de manière frontale le débat qui a présentement cours au Québec. Le Devoir a traduit le slogan de la publicité par « On ne se soucie pas de ce qui recouvre votre tête, mais de ce qui est dans votre tête ». Une réponse claire, sans ambiguité, qui donne à réfléchir sur la tournures des débats de ce côté de la rivière.
Crucifix ou pas,
qu'en est-il de l'intégration socioéconomique, de la dignité
et du pain ?
Je n’ai pas l’intention de m’attarder ici sur le caractère aberrant de
nombreuses déclarations faites par les membres du PQ (ils ne sont évidemment
pas les seuls, mais ils gagnent sûrement la palme), ni sur
l’instrumentalisation d’un ressentiment identitaire présent dans la
population québécoise à des fins électorales, malaise incroyablement
moussé et attisé par les médias. Au contraire, je veux insister sur le fait que
le débat actuel ne concerne pas que les questions de valeurs, identitaires ou
religieuses, mais aussi, et surtout - dans les faits - , l’intégration
socioéconomique des immigrants plus ou moins récents, leur accès au marché du
travail. Le travail étant le principal vecteur d’intégration et de
reconnaissance sociale pour tous les citoyens, il me semble
nécessaire d’insister sur cet aspect trop souvent éludé, parce que beaucoup
plus complexe et méconnu du grand public. D’autant plus que l’emploi et l’accès
à l’emploi ont subi des transformations profondes depuis les années 80,
précarisation et flexibilisation des conditions de travail et d’embauche,
explosion des catégories et des statuts d’emploi, transformations qui sont en
train de redéfinir la structure et le lien social dans leur ensemble. Bref, ce
qui me préoccupe, au delà de la xénophobie, du nationalisme ethnique et de
l’ignorance, ce sont les nouveaux obstacles bien concrets à l’intégration socioéconomique des immigrants qui découlerait de l’adoption de la Charte dans son
état actuel.
Au delà de ses nombreuses et tristes dérives, le débat autour de la
proposition d’interdire le port de signes religieux ostentatoires [sic] dans
les institutions publiques a en effet l’intérêt de donner à voir la relation
intime qui existe entre les politiques d’intégration socioéconomique des
immigrants et les politiques et débats plus larges autour des différents mode
de gestion de la diversité ethnoculturelle. Les politiques d’accès à l’emploi
dans la France postcoloniale, inspirées du modèle républicain de citoyenneté
juridique, soit l’égalitarisme politique comme mode d’appartenance à la
collectivité nationales, lequel refuse de voir dans l’appartenance à un groupe
culturel, religieux ou linguistique la source d’un handicap à compenser par la
loi, prennent des formes bien distinctes de celles inspirées du
multiculturalisme canadien qui lui, place le pluralisme ethnique au centre de
ses préoccupations et qui poursuivent l’objectif d’un renversement de la
hiérarchie ethnique (en théorie, avec toutes les ratés qu’on lui connait) [1].
Politiques sociales générales et gestion de la compétition interindividuelle
pour le premier, politiques antidiscriminatoires ciblées et création d’élites
ethniques pour l’autre, ces dernières passant en grande partie par
l’intégration des groupes minoritaires dans les instances publiques [2].
Pour sortir des lieux communs et des procès d'intention ...
Un retour sur l’évolution de la politique québécoise de gestion de la
diversité ethnoculturelle et sur sa traduction dans les politiques d’accès à
l’emploi et d’intégration socioprofessionnelle des nouveaux arrivants
m’apparait nécessaire pour quiconque cherche à porter un regard
socio-historique le moindrement critique sur les débats actuels autour du
projet de Charte des valeurs québécoises.
Dès son adoption en 1975, la Charte
des droits et libertés de la personne du Québec inclut le droit au
respect des cultures d’origine par l’interdiction de discrimination par la
langue et l’origine ethnique ou nationale [3].
Seulement deux ans plus tard, la loi 101, qui entend faire du français le
véhicule de communication et d’intégration des immigrants, est voté, suivi de La
Politique québécoise de développement culturel en 1978. Cette dernière
introduit la notion de « convergence culturelle », qui impose comme projet
commun au trois groupes sociolinguistiques du Québec de se centrer sur
l’épanouissement de la culture du groupe majoritaire francophone, selon Denise
Helly, chercheur à l’INRS spécialisée dans les questions d’immigration, de
droit et de politiques. Très rapidement, le retour à un « pluralisme culturel »
est opéré [4] avec
un l’objectif à long terme de « redressement énergique d’une situation anormale
de marginalisation des communautés culturelles », marginalisation référerait
surtout à la « faible présence des immigrés au sein du personnel et des
instances décisionnelles des institutions publiques. » [5] Les
mesures adoptées par le Parti québécois entre 1981 et 1985, dans la seule
région de Montréal, demeurent par contre généralement symboliques. Il faudra
attendre l’ascension au pouvoir du Parti libéral du Québec (PLQ) en 1985 pour
voir entrer en vigueur un réel programme d’accès à l’égalité, notamment dans
les services sociaux et de santé. Il apparaît clair que la problématique de la
sous-représentation des minorités visibles dans les instances publiques, comme
les solutions proposées, ne datent pas d’hier.
Il faudra par contre attendre les années
1990 pour que le PLQ introduise un changement majeur dans l’importance accordée
à l’immigration, qui aurait pu laissé présagé un changement dans la perception
de l’immigration dans la population. Dans un Énoncé de politique en
matière d’immigration et d’intégration, l’immigration est présentée comme
un facteur utile, voir indispensable au
redressement démographique Québec, à son enrichissement économique et culturel
ainsi qu’à son rayonnement dans le monde : « Dans un contexte
d’indépendance et de mondialisation des phénomènes économiques, écologique et
sociaux, la population québécoise accorde une grande importance à l’ouverture sur
le monde et à la solidarité internationale […] les Québécois venus d’ailleurs
sont contribué à enrichir la culture québécoise et ses institutions […]. » et
un programme d’accès à l’égalité en emploi pour la fonction publique [6].
Suite à la lecture des grandes lignes de l’évolution de la politique québécoise
en matière de gestion de pluralisme culturel (bien sûr non exhaustives), il
paraît claire que la volonté du PQ, soutenu par une large part de la
population, d’empêcher le port de signes religieux ostentatoires [sic] pour les
employés des institutions publiques n’est pas. Il faut y voir un recul qui
viendrait saper les efforts déployés depuis la naissance de la société
québécoise - et non plus canadienne-française - pour tenter d’intégrer les
immigrants, dont la présence sur son territoire n’a cessé de croître.
Dans les faits, une fonction publique non-représentative comme
constante empirique, en dépits des politiques
Ce qui me gêne particulièrement dans le
débat actuel, c’est son caractère idéologique, totalement déconnecté de la
réalité et de l’expérience vécue. Allant dans ce sens, l’ancien président du
Conseil des relations interculturelles et ancien chef de cabinet du ministère
des Communautés culturelles et de l’immigration sous René-Lévesque, Arlindo
Viera, reproche au gouvernement Marois de ne pas avoir mené d’étude sur la
représentation des minorités visibles dans la fonction publique avant de poser
le diagnostique qu’il y aurait atteinte à sa neutralité voir l'article. Dans une entrevue accordée au Devoir,
il soutient que la proportion de minorités visibles dans la fonction publique
se maintient autour de 2 %, et qu’elle n’aurait pas augmenté depuis 10 ans, en
raison d’obstacles systémiques importants auxquels l’application de la Charte
ne viendrait qu’ajouter. De ce 2 %, quelle proportion auraient des convictions
religieuses ? Puis de cette nouvelle proportion, combien pourraient donc être
des fondamentalistes religieux ? Poser la question, c’est y répondre en
soulignant son caractère aberrant. Plutôt que de s’occuper de ce que les gens
portent et de leur faire des procès d’intention, c’est plutôt de la non-représentativité de
la fonction publique québécoise qu’il faudrait s’inquiéter, d’autant plus
qu’elle demeure une constante, malgré les politiques adoptées par les
gouvernements successifs. Pourquoi ne pas se poser la question suivante et
tenter d'être conséquent: quelle place sommes-nous réellement prêts à faire au
pluralisme et à la diversité de notre société au sein de ses instances
décisionnelles ?
Malaka Rached-d'Astous,
Candidate excédée à la
maîtrise en sociologie, Université de Montréal
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