mercredi 18 septembre 2013

Le monopole des agences de placement dans le marché du travail agricole



                Radio-Canada rapportait cette semaine le comportement frauduleux de certaines agences de placement dans le domaine agricole[1]. Ces agences qui servent d’intermédiaire entre les ouvriers à la recherche d’un travail et les exploitants agricoles chargent à ces derniers jusqu’à 15 ou 17 $ de l’heure par ouvrier, mais n’en remet que 8 $ par heures, sous la table, à ceux-ci, soit un taux horaire sous le minimum légal. En fait, c’est qu’elle ne paie pas les cotisations sociales prélevées auprès des employeurs. Les agences sont instables, et lorsque le gouvernement ne retrouve pas l’agence frauduleuse, il souhaite récupérer les cotisations auprès des producteurs.
Selon le directeur de l’Association des jardiniers maraîchers du Québec, M. Laplante, le paradoxe de cette situation est que si le gouvernement intervient et rigidifie les législations concernant le marché du travail agricole, qui rappelons-le est monopolisé par les agences, celles-ci « fermeront et cela ne règlera pas notre problème de main-d’œuvre. La solution que propose l’Union des producteurs agricoles est que les producteurs effectuent de meilleurs choix, plus rationnels, lorsque vient le moment de choisir une agence de recrutement. Cette solution semble inadéquate avec les exigences particulières de la production et de la productivité agricole, si on se fie au discours de M. Laplante. Ainsi, du côté du Patronat agricole, on ferme les yeux devant les abus et, allant dans le sens de l’idéologie néolibérale, on s’oppose à la réglementation du marché du travail tout en affirmant qu’il n’y a pas d’enjeux d’accumulation, mais plutôt des exigences de production de leur part, c’est-à-dire une nécessité d’avoir un accès sans entrave et « juste-à-temps » à la main-d’œuvre.           
Pour le philosophe néolibéral Milton Friedman, un monopole « détermine les conditions d’accès à un bien [2]». Dans le contexte du capitalisme industriel, la force de travail est considérée comme une marchandise vendue librement et existant en vue de rentabiliser la production de valeur. En fait c’est la seule source de création de valeur d’échange que possèdent les ouvriers. On peut donc dire que les agences de placement dans le domaine agricole agissent à titre de monopole en matière de main-d’œuvre. D’un côté elle détermine l’accès au travail et de l’autre l’accès à la force de travail. Ce monopole du marché du travail se distingue toutefois du monopole syndical. En effet, il a pour conséquence de limiter les producteurs dans leurs moyens de recrutement, et d’abaisser leurs conditions de travail des ouvriers. Le monopole syndical au contraire, bien que limitant les possibilités de choix des entrepreneurs, assure un salaire, des avantages et un contrat de travail à ceux qu’il protège.   
Soulignons aussi que, pour le sociologue Robert Castel[3], les ouvriers agricoles sont historiquement soumis à la location intermittente de leur force de travail en fonction des besoins de main-d’œuvre, c’est-à-dire aux aléas saisonniers, ainsi qu’à la semi-clandestinité dans laquelle peut les plonger leur situation précaire. 
                Dans le cas qui nous occupe, les ouvriers agricoles se trouvent dans une situation de précarité et dans l’incertitude n’ayant pas de contrat de travail. De plus, ils sont payés clandestinement sous le minimum légal, ce qui a pour effet de leur aliéner certains droits sociaux tels que le droit au chômage ou à l’assurance-parentale. Les producteurs agricoles, les propriétaires-exploitants, affirment que cette situation ne relève pas de leur volonté. Selon le président de l’Association des jardiniers maraîchers du Québec, les exploitants sont obligés de recourir aux agences afin d’obtenir la main-d’œuvre nécessaire en temps et lieu. Les ouvriers comme les producteurs sont alors soumis à un marché du travail monopolisé par les agences de placement.   
                 
 Sarah Girard,
18 septembre 2013



[1] Normand Grondin. « Des agences douteuses s’enrichissent sur le dos des ouvriers et des agriculteurs ». Radio-Canada.ca, 8 septembre 2013. http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/09/08/002-producteurs-maraichers-agences.shtml.
[2] Friedman Milton, Capitalism and Freedom, The University of Chicago Press, Chicago, 2002 [1962], p.120
[3] Castel, R. 1995. « La société salariale», dans Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, collection « folio essais », Gallimard, France, p. 227-232

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