Radio-Canada
rapportait cette semaine le comportement frauduleux de certaines agences de
placement dans le domaine agricole[1].
Ces agences qui servent d’intermédiaire entre les ouvriers à la recherche d’un
travail et les exploitants agricoles chargent à ces derniers jusqu’à 15 ou 17 $
de l’heure par ouvrier, mais n’en remet que 8 $ par heures, sous la table,
à ceux-ci, soit un taux horaire sous le minimum légal. En fait, c’est qu’elle
ne paie pas les cotisations sociales prélevées auprès des employeurs. Les agences
sont instables, et lorsque le gouvernement ne retrouve pas l’agence
frauduleuse, il souhaite récupérer les cotisations auprès des producteurs.
Selon le
directeur de l’Association des jardiniers maraîchers du Québec, M. Laplante,
le paradoxe de cette situation est que si le gouvernement intervient et
rigidifie les législations concernant le marché du travail agricole, qui
rappelons-le est monopolisé par les agences, celles-ci « fermeront et cela
ne règlera pas notre problème de main-d’œuvre. La solution que propose l’Union
des producteurs agricoles est que les producteurs effectuent de meilleurs
choix, plus rationnels, lorsque vient le moment de choisir une agence de
recrutement. Cette solution semble inadéquate avec les exigences particulières
de la production et de la productivité agricole, si on se fie au discours de M. Laplante.
Ainsi, du côté du Patronat agricole, on ferme les yeux devant les abus et,
allant dans le sens de l’idéologie néolibérale, on s’oppose à la réglementation
du marché du travail tout en affirmant qu’il n’y a pas d’enjeux d’accumulation,
mais plutôt des exigences de production de leur part, c’est-à-dire une
nécessité d’avoir un accès sans entrave et « juste-à-temps » à la
main-d’œuvre.
Pour le
philosophe néolibéral Milton Friedman, un monopole « détermine les
conditions d’accès à un bien [2]».
Dans le contexte du capitalisme industriel, la force de travail est considérée
comme une marchandise vendue librement et existant en vue de rentabiliser la
production de valeur. En fait c’est la seule source de création de valeur
d’échange que possèdent les ouvriers. On peut donc dire que les agences de
placement dans le domaine agricole agissent à titre de monopole en matière de
main-d’œuvre. D’un côté elle détermine l’accès au travail et de l’autre l’accès
à la force de travail. Ce monopole du marché du travail se distingue toutefois
du monopole syndical. En effet, il a pour conséquence de limiter les
producteurs dans leurs moyens de recrutement, et d’abaisser leurs conditions de
travail des ouvriers. Le monopole syndical au contraire, bien que limitant les
possibilités de choix des entrepreneurs, assure un salaire, des avantages et un
contrat de travail à ceux qu’il protège.
Soulignons
aussi que, pour le sociologue Robert Castel[3],
les ouvriers agricoles sont historiquement soumis à la location intermittente
de leur force de travail en fonction des besoins de main-d’œuvre, c’est-à-dire
aux aléas saisonniers, ainsi qu’à la semi-clandestinité dans laquelle peut les
plonger leur situation précaire.
Dans
le cas qui nous occupe, les ouvriers agricoles se trouvent dans une situation
de précarité et dans l’incertitude n’ayant pas de contrat de travail. De plus,
ils sont payés clandestinement sous le minimum légal, ce qui a pour effet de
leur aliéner certains droits sociaux tels que le droit au chômage ou à
l’assurance-parentale. Les producteurs agricoles, les propriétaires-exploitants,
affirment que cette situation ne relève pas de leur volonté. Selon le président
de l’Association des jardiniers maraîchers du Québec, les exploitants sont
obligés de recourir aux agences afin d’obtenir la main-d’œuvre nécessaire en
temps et lieu. Les ouvriers comme les producteurs sont alors soumis à un marché
du travail monopolisé par les agences de placement.
Sarah Girard,
18 septembre 2013
[1] Normand
Grondin. « Des agences douteuses s’enrichissent sur le dos des ouvriers et
des agriculteurs ». Radio-Canada.ca, 8 septembre 2013.
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/09/08/002-producteurs-maraichers-agences.shtml.
[2] Friedman Milton, Capitalism and Freedom, The University
of Chicago Press, Chicago, 2002 [1962], p.120
[3] Castel,
R. 1995. « La société salariale», dans Les
métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat,
collection « folio essais », Gallimard, France, p. 227-232
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