mardi 24 septembre 2013

Et si l’on repensait à la justice sociale face à la crise de l’égalité?


« QuelleFrance dans dix ans ? », voilà un titre fort aguicheur  pour ses habitants qui « estiment vivre moins bien qu’hier ». C’est en cherchant à dépasser ce « malheur collectif » que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a commencé à plancher et à nous partager ses conclusions préliminaires, au séminaire gouvernemental français d’août dernier, pour nous proposer de vraies perspectives d’avenir, volontaristes et réalistes, selon les dires d’Alternatives Economiques. La tâche est colossale. Impossible d’affronter la bête en quelques lignes, cantonnons-nous aux intitulés de deux sous-titres : « Quel modèle d’égalité ? » et « quelle vision du progrès ? ». La question sous-jacente ne serait-elle pas l’évolution de notre conception de la justice sociale dans un contexte d’aggravation des inégalités et de remise en cause de notre croyance infaillible (pas tant que ça finalement) en un « progrès économique débouchant mécaniquement sur un progrès social bénéficiant à tous » ? 

L’égalité est un terme que l’on retrouve de manière récurrente dans le débat public français et un objet d’étude intéressant pour les sciences sociales. Pierre Rosanvallon explique notamment que la France est sortie des inégalités au XXème siècle grâce à trois ruptures : le réformisme de la peur avec des politiques redistributives, les épreuves fortes vécues en commun lors de la première guerre mondiale et de la Résistance, l’avènement d’une société collectivité contre l’individualisme. La lutte contre les inégalités a donc prévalu jusqu’aux années 1980, période à partir de laquelle la transformation du capitalisme s’est accompagnée d’une tolérance sociale envers certains types d’inégalités.  Or, cette forme d’acceptation et de résignation ne se fait pas sans encombre, dans une société où l’idéal de solidarité reste sous-jacent, garanti par une croissance qui allait de pair avec l’amélioration des satisfactions collectives et individuelles. Notre conception du « vivre ensemble » est donc bien amochée.  Pendant les 30 Glorieuses, elle était reliée à une aspiration à l’autonomie appréhendée comme indépendance, liberté de choisir, selon Alain Ehrenberg. Or, au tournant des années 1980, l’autonomie s’est transformée en autonomie de compétition, « qui divise la société française, car elle équivaut pour nous à l’abandon des individus aux forces du marché ». Le malaise social que décrit Ehrenberg s’explique donc par une « crise de l’égalité » que doit affronter le pays. 

Ainsi, l’égalité et la solidarité, si chères à la France, balbutiantes lors de la révolution française et renforcées pendant une grande partie du XXème siècle, ne seraient-elles plus adaptées aux nouveaux enjeux ? C’est au moment où ces deux idées entrent en crise, où leur fonctionnalité pour garantir le lien social est remise en cause, que les débats autour de la justice sociale se ravivent, cherchant un compromis difficile pour éviter l’éclatement de la société. La question centrale reste finalement de trouver une alternative à une société salariale en voie de désagrégation dans de nombreux pays européens, France incluse. Comme l’affirme Pierre Strobel, si la société n’est plus fondée sur le travail mais « sur la seule distribution des droits civils,  politiques et sociaux »  aux citoyens d’une nation, le rôle de l’Etat doit être réinventé.

Anne-Gaelle Kroll

Aucun commentaire:

Publier un commentaire