La Peniche, une Société coopérative et participative, un levier de remise en cause de la
marchandisation du travail ?
« Le choix de l’autogestion est concomitant à une rupture avec l’organisation du travail classique ». C’est le propos recueilli par un
journaliste de Rue89, des associés de La
Peniche, une Société coopérative et
participative (Scop) de l’Isère (France). Le sujet est encore peu banal dans
les grands médias, alors même que ce type d’organisation prend peu à peu de l’ampleur,
notamment soutenu par des avantages fiscaux et un accès privilégié à la
commande publique dans le cas français. Si la SCOP reste une société
commerciale et est soumise à l’impératif de rentabilité comme toute autre
entreprise, sa spécificité est ailleurs. Gouvernance démocratique -chaque
salarié-coopérateur ne disposant que d’une voix lors des votes de l’assemblée
générale (et ce, quel que soit son apport en capital)-, et répartition des résultats visant à maintenir
les emplois et le projet d’entreprise, ce sont les traits fondamentaux
distinctifs de La Peniche, qui fait
passer ses associés pour des « extra-terrestres dans le monde très hiérarchisé
et inégalitaire des agences de communication » (Rue89).
Il serait certes intéressant
de questionner comment, depuis 2008, l’entreprise connaît une croissance continue et embauche une nouvelle personne chaque
année, pourquoi tous sont payés 2000 euros net par mois, ou plus largement quels
sont les impacts de ce nouveau rôle donné aux actionnaires. Ce qu'il sera simplement souligné ici est cette tentative, à travers la Scop, de remettre
en cause le modèle de la compétence selon l’acception la plus utilisée, qui a
remplacé progressivement celui de la qualification, en laissant émerger une
logique individualisée et le primat de la responsabilité de l’individu dans la
prise en charge de missions complexes au sein de l’entreprise. Or, ce nouvel
outil de gestion est intégré dans « une vision utilitaire et instrumentale
de l’homme au travail » (Brigitte Charles-Pauvers et Nathalie
Schieb-Bienfait, 2012).
Ainsi, le système d’organisation développé dans la Scop
interroge la relation marchande qui s’est développée pour lier les hommes au
travail, en proposant une nouvelle vision du collectif, et questionne sur
« ce qui se joue dans le travail », en s’éloignant du « travail
réduit à l’activité prescrite ». Cette réflexion sur la marchandisation du
travail a été amorcé, il y déjà plus d’un demi-siècle, par Karl Polanyi, à
travers son analyse de la construction de trois « marchandises
fictives : travail, terre et monnaie ». L’économie par l’avènement du
marché autorégulateur avait, selon lui, colonisé les autres secteurs de la
société : « le développement du système du marché devait
s’accompagner d’un changement dans l’organisation de la société
elle-même » (Polanyi, 1944). Le travail devait être mis en vente pour
répondre aux nécessités de fourniture du système de production. S’il évoquait
l’émergence d’un contremouvement qui allait réencastrer le marché dans le
social, ce mouvement n’a été que limité et le travail continue d’être considéré comme
une marchandise.
Pourtant, d’autres leviers, tels que La Peniche, paraissent présenter des alternatives pour une vision
que l’on appelle innovatrice de l’organisation du travail et du travail en
lui-même, ou poussent au moins au questionnement. « L’idée était de monter
une structure autogérée pour travailler autrement avec les gens, sans chef, en
partageant les décisions et les tâches» précise un des associés de la Scop.
Anne-Gaëlle Kroll
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