Le journal
français Sud Ouest nous entretient cette semaine d’un marché émergeant qui
suscite de plus en plus de convoitise malgré la controverse qui l’entoure,
celui de la gestation pour autrui et du recours aux mères porteuses au niveau
international [1]. L’article ici présenté s’attarde au cas d’une vaste clinique
nouvellement ouverte à Anand, en Inde, qui emploie des centaines de mères
porteuses locales et vend les enfants à des couples occidentaux infertiles,
notamment en Angleterre, en Allemagne, au Canada et aux États-Unis.
Le marché indien de la gestation
pour autrui est aujourd’hui estimé à plus d’un milliard de dollars par année,
contrastant avec les 60 sous par jour avec lesquels vit le tiers de la
population. Une mère porteuse peut gagner un maximum de 8000$ par enfant qu’elle
conçoit ; l’offre est en effet plutôt alléchante dans un contexte de pauvreté
extrême, d’autant plus que la demande est très forte. L’entreprise vend chaque
enfant pour environ 28 000$, montant permettant un large profit pour
celle-ci et se classant tout de même en-deçà des tarifs américains. L’entreprise
défend la moralité de ses activités par le fait que les mères soient
consentantes, rémunérées pour leur « travail » et fassent une bonne
action en offrant un enfant à des gens. L’une des clientes interrogée explique
que la souffrance de ne pas pouvoir avoir d’enfant suffit à justifier l’initiative.
Si la pratique est
autorisée notamment en Inde, elle fait l’objet de bien des discussions ailleurs
dans le monde et nécessite une analyse en profondeur. Il importe avant tout de
mentionner que ce type d’industrie émerge d’abord grâce au nouveau contexte de
mondialisation, qui ouvre la voie à des échanges commerciaux entre pays riches,
pays pauvres et pays en développement. Ensuite, la possibilité de créer une
industrie basée sur l’utilisation concrète du corps biomédical en tant que
capital de production naît d’une idéologie typiquement néolibérale, où l’humain
est sa propre entreprise et où la moralité et le profit constituent deux
entités indépendantes l’une de l’autre.
À la lumière de ces constats, deux
enjeux éthiques majeurs sont à considérer. D’abord, un débat nouveau fait
surface quant à la gestion de l’éthique en contexte de marchandage de
ressources et de capital humain entre des pays n’ayant ni les mêmes valeurs, ni
les mêmes besoins [2]. L’impérialisme éthique, qui consiste à appliquer une
éthique uniformisée pour tous, obligerait, par exemple, un pays développé à
traiter ses employés dans un pays en voie de développement selon les mêmes
normes que ses propres citoyens. En empêchant l’exploitation des plus pauvres
par les plus riches, cette méthode nierait néanmoins les besoins propres aux
gens du pays en question et les priverait d’opportunités. À l’inverse, le
relativisme éthique, qui consiste à traiter avec des normes adaptées les
citoyens de différents pays au regard de leurs contextes spécifiques, ouvre
grande la porte à l’exploitation et la hiérarchisation des humains, telle que
dénoncée dans le cas de l’entreprise indienne ici présenté, par la mise des
corps de femmes pauvres au service de couples riches à prix modique, notamment
en comparaison aux mères porteuses américaines.
Enfin, la marchandisation des corps
et de ses morceaux, qui constituait jusqu’alors une barrière morale infranchie,
devient aujourd’hui un enjeu bioéconomique et éthique de taille [3]. On assiste
en effet à une transformation majeure de la valeur du corps qui passe d’une
entité sacrée possédant une histoire à un objet commode et profitable par son
morcellement. On observe également une nouvelle forme de hiérarchisation et d’aliénation
des corps, considérant que certains soient plus ou moins marchandables selon l’ethnie,
la richesse, le sexe, etc., alors que d’autres préservent cet aspect sacré et
sont plutôt des consommateurs. Une dépersonnalisation de l’individu qui vend
son corps est à considérer, notamment aux yeux de l’acheteur et de l’industrie
; comment peut-on comprendre cette nouvelle forme de rapport au corps?
Si plusieurs critiquent pleinement
la mise au rancard de la moralité en contexte bioéconomique, la situation est
certainement à étudier plus en profondeur et de nouvelles mesures de gestion
sont encore à élaborer, car ce type d’industrie est appelé à grandir et à se
diversifier.
[1]Sud Ouest. Une « usine à bébés » va voir le
jour en Inde. France, le 5 octobre 2013. Document consulté en ligne : http://www.sudouest.fr/2013/10/05/une-usine-a-bebes-va-voir-le-jour-en-inde-1190389-4803.php.
[2]Petryna, A. (2006). « Globalizing Human Subject
Research », dans Petryna, A., Lakoff, A., & Kleinman, A. Global Pharmaceuticals : Ethics, Markets,
Practices, Duke University Press, pp. 33-60.
[3]Sharp, L.A. (2007). « Body Commodities. The Medical
Value of the Human Body and its Parts », dans Bodies, Commodities, & Biotechnologies. Death, Mourning, & Scientific Desire in the Realm of Human
Organ Transfer, New York, Columbia University Press, pp. 47-75.
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