Le problème
des agences de recrutement en matière de main-d’œuvre étrangère n’est pas
spécifique au Québec. Le Magazine International
Polonais a publié, aujourd’hui 16 octobre, un article[1]
rapportant que le Conseil de l’Europe, par le biais de la Commission Européenne
sur le Racisme et l’Intolérance, dénonce le traitement des travailleurs
polonais au Pays-Bas. Le Conseil compare les conditions de travail des
ressortissants polonais à de l’esclavagisme. Les agences de recrutement sont à
nouveau sous les projecteurs. En effet, il est dénoncé qu’elles promettent de
bons emplois, un bon salaire, un logement et du transport aux travailleurs
polonais. Les travailleurs polonais se laisseraient attirer par le salaire
apparemment élevé qui leur est offert en raison des conditions économiques
sclérosées de leurs pays d’origine. Cependant, le rapport du Conseil de
l’Europe souligne que la réalité est tout autre. Dans les faits les emplois ne
sont pas assurés ; le salaire est faible par rapport au coût de la vie aux
Pays-Bas ; il s’agit de secteurs d’emploi dans lesquels les locaux refusent de
travailler; les travailleurs sont dans l’obligation de payer d’importants
montants prélevés directement sur leur paye par les agences pour couvrir les
« services de placement » ; ils sont plongés dans une grande
vulnérabilité économique qui les rend dépendants de l’employeur, lequel va
parfois jusqu’à confisquer les passeports ; en outre, lorsque l’agence se
charge du logement, il s’agit d’un lit dans un appartement surpeuplé.
Selon
l’esprit de l’Espace Schengen, dont fait pleinement partie la Pologne depuis
2011, la liberté de circulation des travailleurs vise à combler les manques de
main-d’œuvre de manière flexible, en fonction des besoins du marché, sans pour
autant mettre en concurrence les travailleurs citoyens de l’Union Européenne[2].
Pour ce faire, les employeurs se doivent de proposer des conditions d’emploi
décentes et égales indépendamment de la provenance du citoyen communautaire[3].
Cependant, force est de constater que les ressortissants des pays
« périphériques » dans l’Union Européenne sont dirigés dans des
secteurs d’emplois dont les conditions sont moins bonnes par les agences. Cela
a pour effet de mettre les travailleurs en concurrence. C’est le cas des travailleurs
polonais dans l’agriculture aux Pays-Bas, mais aussi des travailleurs portugais
dans la construction, dans le transport ou dans la production alimentaire en
Belgique[4],
ou les travailleurs des vendanges en France[5],
pour ne citer que trois exemples.
Le second cas
est dénoncé par la Fédération Générale du Travail de Belgique (FGTB)[6],
un syndicat socialiste. Ils dénoncent cette réalité en la qualifiant de dumping social. Pour le syndicat, il
s’agit aussi d’une pratique assimilable à de l’esclavagisme moderne. Selon le
syndicat les entreprises pratiquent en même temps le dumping social et le chômage économique en ne recrutant pas les
travailleurs locaux qui sont considérés trop coûteux, alors que les
travailleurs polonais seraient plus tolérants aux mauvaises conditions de
travail. En ce sens, le recours aux agences de recrutement par les entreprises
peut être saisi comme un moyen de contourner la rigidité syndicale ou encore les
lois du travail. La FGTB souhaite voir réglementer davantage cette pratique de dumping. L’objectif est d’assurer des conditions
décentes d’emplois de sorte à limiter la mise en concurrence des travailleurs et
à rendre l’emploi plus juste et humain pour tous. C’est aussi dans ce sens que se concentrent
les efforts de la CGT en France dans le domaine agricole en s’attaquant aux
producteurs qui font affaire avec des sous-traitants étrangers qui paient les
travailleurs au salaire minimum de leur pays d’origine. Ces travailleurs ne se
voyaient pas payer toutes leurs heures de travail, reçoivent un salaire plus
bas que les travailleurs français et ne paient pas de cotisation sociale ce qui
les prive de droits sociaux. Une différence entre le cas français et les cas
belge ou néerlandais est que dans le premier cas, les travailleurs touchés
proviennent de l’extérieur de l’Espace Schengen et sont soumis à des accords
d’accès au territoire européen très strict[7],
alors que les deux autres cas, les travailleurs sont supposés déjà d’avoir des
droits équivalents aux autres Européens.
Ainsi, pour contrer la pure logique d'exploitation économique engendrée par l'ouverture des frontières, plusieurs syndicats européens vont dans le sens du projet
communautaire de l’Union Européenne[8]
et défendent la libre circulation des travailleurs et le respect de droits égaux. Ceux-ci souhaitent
emprunter une démarche progressiste qui ne tomberait pas dans le panneau de la
xénophobie. Ceux-ci ont pour objectif de préserver des conditions décentes
d’emplois pour tous, locaux et étrangers. En ce sens, ils défendent les
conditions de travail des travailleurs étrangers et dénoncent
l’instrumentalisation de ceux-ci à des fins de profits, indépendamment des
besoins d’emplois nationaux. En vue de contrer la dynamique néolibérale de la
mobilité de la main-d’œuvre, comprise comme la liberté de circulation des
travailleurs, les syndicats souhaitent encadrer légalement et au niveau
national les pratiques des agences de recrutement qu’elles soient européennes
ou qu’elles soient extérieures à l’Espace Schengen. Plusieurs actions, moyens
de pression et recours seront entamés en ce sens dans les prochains mois par
ces syndicats. Au Québec, la CSN est aussi engagée dans une lutte contre les
agences de recrutement de manière générale et revendique l’encadrement légal de ces
pratiques afin de contrer la mise en concurrence des travailleurs et des travailleuses.
De son côté,
l’OIT prône l’institution de mécanisme d’autorégulation des agences par
elles-mêmes en vue de faire respecter les normes du travail nationales et
internationales. Ces régulations seraient alors administrées à travers des
associations d’agences de recrutement, tel que cela a été fait au Viet-Nam
depuis 2010. Ce procédé viendrait finalement soutenir les pouvoirs publics dans
l’application des normes et assurer une compétition saine entre les agences de
recrutement en rehaussant le niveau de respect des droits des travailleurs
migrants.
Sarah Girard
[1]
http://www.swietapolska.com/news/swpolska4401.html
[2]
Stratula, Victoria Tonev. La liberté de circulation des travailleurs:
Réflexion à partir des nouveaux États de l’Union européenne. Editions
L’Harmattan, 2006, p. 33
[3] Potot,
Swanie. « Construction européenne et migrations de travail ». Revue
européenne des sciences sociales 51‑1, no 1 (11 juin 2013), p.11
[4] http://www.rtl.be/info/votreregion/liege/1039804/des-ouvriers-etrangers-embauches-pour-la-tour-des-finances-a-liege-la-fgtb-voit-rouge
[5] http://www.lindependant.fr/2013/09/29/travailleurs-etrangers-la-cgt-epingle-les-patrons-voyous,1794336.php
[6] http://www.fgtb.be/web/guest/la-fgtb;jsessionid=fbL2hVWBvpxuem3UydxuJnW
[7] Il
peut s’agir soit d’un permis de travailleurs étrangers invité qui réduit la
liberté des travailleurs en les attachant aux producteurs qui les font venir.
En France, selon Swanie Potot, on peut croire que ce programme a favorisé la
mondialisation et la modernisation de l’agriculture en réduisant les coûts de
main-d’œuvre. Avec la libéralisation des marchés, le recours à cette
main-d’œuvre est apparue comme nécessaire au petits exploitants. Potot, op.cit, p. 17-18
[8]http://eeas.europa.eu/delegations/switzerland/eu_switzerland/political_relations/permissieveness/index_fr.htm
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