mardi 15 octobre 2013

Droit au travail et droits des travailleurs : mobilisations et enjeux conciliables ?

La justice a tranché. Le magasin Sephora Champs-Elysées ne pourra pas ouvrir ses portes jusqu’à minuit. 101 salariés de l’enseigne du groupe LVMH demandaient à la Cours "qu'il soit sursis à l'exécution de l'arrêt du 23 septembre 2013 et que le magasin Sephora ne ferme pas à 21 heures". Selon le parfumeur, 20% du chiffre d’affaire de son magasin se fait après 21 heures, suggérant des retombés économiques négatives pour l’entreprise. Néanmoins, il faut creuser dans cette affaire au-delà des seuls intérêts patronaux. Derrière la décision de la Cours d’appel de Paris rendue le 10 octobre, c’est une bataille féroce qui se livre entre deux groupes de salariés, mobilisés pour défendre des intérêts distincts et prêts à  utiliser la justice comme arme stratégique d’action.
Premier constat en effet, la voie judiciaire a été considérée porteuse, au détriment du conflit ouvert ou de l’affrontement direct. Depuis déjà trois ans, le Comité de liaison intersyndicale du commerce de Paris (Clip-P) mène une bataille judiciaire pour empêcher le travail de nuit et défendre le repos dominical. Ce regroupement de plusieurs syndicats (CGT, CFDT, Seci-Unsa, SUD, CGC  et FO) – une entente conçue comme une véritable stratégie dans un secteur peu syndiqué - est l’instigateur de près de vingt procès portant sur les horaires d’ouverture des magasins. Clip-P a eu gain de cause dans plusieurs affaires, obligeant notamment les enseignes de bricolage Castorama et Leroy Merlin à fermer certains de leur magasin le dimanche.
Ainsi, le débat sur l’extension des heures d’ouverture et donc de travail dans les services, du commerce de proximité à la grande surface, s’est ravivé. La question s’était d’abord posé, il y a déjà plusieurs dizaines d’années, au niveau du secteur secondaire. En témoigne la note de recherche publiée en 1970 de Jacqueline C. Massé intitulée « le travail du dimanche »[1]. Beaucoup d’interrogations soulevées apparaissent semblables : aspect économique face à la concurrence et à la nécessité d’amélioration de la rentabilité, adaptation de la législation, caractère social associé à la protection des droits des travailleurs, intérêt public partagé entre « croissance économique » et « santé sociale d’une communauté », traditions et usages touchant les domaines sociaux et familiaux. Jacqueline Massé s’était alors interrogée sur l’existence de facteurs individuels qui diversifient l’opinion des travailleurs sur le travail dominical, tel que l’âge et le salaire, sans trouver de résultats probants sur de possibles liens de causalité.

Pourtant, dans le cas récent qui nous intéresse, une vraie polarisation s’est créée. D’une part, les salariés du magasin Séphora ont revendiqué les heures étendues d'ouverture comme l'accès à des postes de travail supplémentaires, qui seront supprimés si le magasin est contraint à fermer plus tôt. Ils ont donc embrassé l’heure d’un combat la cause de leur employeur, en appelant la justice à protéger les intérêts de l’entreprise, qu’ils estiment aussi les leurs. La vidéo transmise par Le Monde montre en effet des salariés en larmes face à l’annonce de la décision. D’autre part, se débattent les plus grands syndicats français, représentants des salariés certes, mais pas précisément des 101 employés du magasin des Champs Elysées. Cette contradiction montre la crise que traverse le syndicalisme, tant en termes d'idéologie, que de représentation et de capacité de mobilisation. La réaction des travailleurs du magasin soulève aussi l’existence du malaise grandissant d’une population active de plus en plus divisée entre plusieurs classes de travailleurs, dévoilant une véritable fragmentation du marché du travail dans un contexte économique morose où la concurrence, la flexibilité la précarité et le chômage font fortunes.  Reste à discerner des voies renouvelées pour rendre conciliable le droit au travail et les droits des travailleurs.



[1] Jacqueline C. Massé, « Le travail du dimanche », Sociologie et sociétés, vol. 2, n° 1, 1970, p. 145-161.

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