La justice a
tranché. Le magasin Sephora Champs-Elysées ne
pourra pas ouvrir ses portes jusqu’à minuit. 101 salariés de l’enseigne du groupe
LVMH demandaient à la Cours "qu'il soit sursis à l'exécution de
l'arrêt du 23 septembre 2013 et que le magasin Sephora ne ferme pas à 21 heures".
Selon le parfumeur, 20% du chiffre d’affaire de son magasin se fait après 21
heures, suggérant des retombés économiques négatives pour l’entreprise.
Néanmoins, il faut creuser dans cette affaire au-delà des seuls intérêts
patronaux. Derrière la décision de la Cours d’appel de Paris rendue le 10
octobre, c’est une bataille féroce qui se livre entre deux groupes de salariés,
mobilisés pour défendre des intérêts distincts et prêts à utiliser la
justice comme arme stratégique d’action.
Premier
constat en effet, la voie judiciaire a été considérée porteuse, au détriment du
conflit ouvert ou de l’affrontement direct. Depuis déjà trois ans, le Comité de
liaison intersyndicale du commerce de Paris (Clip-P) mène une bataille
judiciaire pour empêcher le travail de nuit et défendre le repos dominical. Ce
regroupement de plusieurs syndicats (CGT, CFDT, Seci-Unsa, SUD, CGC et
FO) – une entente conçue comme une véritable stratégie dans un secteur peu
syndiqué - est l’instigateur de près de vingt procès portant sur les horaires
d’ouverture des magasins. Clip-P a eu gain de cause dans plusieurs affaires,
obligeant notamment les enseignes de bricolage Castorama et Leroy Merlin à
fermer certains de leur magasin le dimanche.
Ainsi, le
débat sur l’extension des heures d’ouverture et donc de travail dans les
services, du commerce de proximité à la grande surface, s’est ravivé. La
question s’était d’abord posé, il y a déjà plusieurs dizaines d’années, au
niveau du secteur secondaire. En témoigne la note de recherche publiée en 1970
de Jacqueline C. Massé intitulée « le travail du dimanche »[1]. Beaucoup
d’interrogations soulevées apparaissent semblables : aspect économique
face à la concurrence et à la nécessité d’amélioration de la rentabilité,
adaptation de la législation, caractère social associé à la protection des
droits des travailleurs, intérêt public partagé entre « croissance
économique » et « santé sociale d’une communauté », traditions
et usages touchant les domaines sociaux et familiaux. Jacqueline Massé s’était
alors interrogée sur l’existence de facteurs individuels qui diversifient
l’opinion des travailleurs sur le travail dominical, tel que l’âge et le
salaire, sans trouver de résultats probants sur de possibles liens de causalité.
Pourtant, dans
le cas récent qui nous intéresse, une vraie polarisation s’est créée. D’une
part, les salariés du magasin Séphora ont revendiqué les heures étendues
d'ouverture comme l'accès à des postes de travail supplémentaires, qui seront
supprimés si le magasin est contraint à fermer plus tôt. Ils ont donc embrassé
l’heure d’un combat la cause de leur employeur, en appelant la justice à
protéger les intérêts de l’entreprise, qu’ils estiment aussi les leurs. La
vidéo transmise par Le Monde montre en effet des salariés en larmes
face à l’annonce de la décision. D’autre part, se débattent les plus grands
syndicats français, représentants des salariés certes, mais pas précisément des
101 employés du magasin des Champs Elysées. Cette contradiction montre la crise
que traverse le syndicalisme, tant en termes d'idéologie, que de représentation
et de capacité de mobilisation. La réaction des travailleurs du magasin soulève
aussi l’existence du malaise grandissant d’une population active de plus en
plus divisée entre plusieurs classes de travailleurs, dévoilant une véritable
fragmentation du marché du travail dans un contexte économique morose où la
concurrence, la flexibilité la précarité et le chômage font fortunes.
Reste à discerner des voies renouvelées pour rendre conciliable le droit
au travail et les droits des travailleurs.
[1] Jacqueline C. Massé, « Le
travail du dimanche », Sociologie et sociétés, vol. 2, n° 1, 1970, p.
145-161.
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