On ne peut comprendre l’évolution du syndicalisme
et ses défis actuels sans s’attarder à l’évolution du contexte
politico-institutionnel et économique dans lequel il évolue. C’est la
contribution que le sociologue et économiste Éric Pineault a voulu apporter
lors du Colloque sur le travail décent et le rôle des syndicats, qui s’est
tenu à Québec le 7 octobre dernier lien. Pineault
a en effet tenté de cerner le contexte d’économie politique
nord-américain actuel, en revenant sur son évolution durant le XXe siècle. Jusqu’à
il y a 5 ou 6 ans, on pouvait toujours invoquer le néolibéralisme comme pour
tenter d’expliquer les mécanismes d’action de l’économie globalisée. Depuis les
mouvements Occupy, il est difficile de faire abstraction de cette élite,
le 1%, qui a connu une trajectoire très différente de l’ensemble de la
population mondiale ces dernières années. Pour Pineault, il faut aller au-delà du
constat de la croissance des inégalités sociales et admettre que nous nous sommes
fait prendre dans une lutte de classe… En effet, on ne peut saisir les
difficultés que connait le syndicalisme depuis une vingtaine d’années si on ne
comprend pas qu’une classe est en lutte contre celle des salariés, dans un
rapport de force qui lui est très favorable.
Il utilise la notion de modération salariale comme
angle d’attaque pour comprendre le contexte d’économie politique de nos
économies avancées et pour insister sur la nouvelle lutte des classes qui s’y
joue. L’idée de modération salariale renvoie au fait que nos salaires et
revenus stagnent en contexte de stagnation économique, alors que les très hauts
salaires explosent, réalité qui s’est graduellement mise en place depuis une
vingtaine d’années. Le fameux 1% forme une classe sociale distincte, en ce
qu’elle a réussi à imposer une norme de revenu radicalement différente de celle
qui vaut pour le reste de la population. Alors que les salaires sont
normalement rattachés à la croissance - ce qui est problématique dans la mesure
où nos économies sont en décroissance depuis les années 70, phénomène séculier et
non pas temporaire – cette élite a su arrimer son système de rémunération à la
profitabilité des entreprises, dont très peu de gens profitent au final. Les
salaires des dirigeants d’entreprises sont en effet directement arrimés aux
profits des entreprises.
Ce qui est particulièrement problématique pour le
syndicaliste, c’est que les grandes entreprises continuent à engranger des
profits records malgré le contexte de ralentissement des taux de croissance… C’est
désormais le syndicaliste qui doit réclamer une croissance économique forte s’il
veut que les salaires augmentent, position pour le moins inédite. Il se trouve
devant un vrai casse-tête : comment comprendre que les grandes entreprises
continuent à réaliser des profits record en contexte de ralentissement des taux
de croissance et de leur taux d’investissement dans l’économie (réelle), ce qui
se traduit par une surépargne pour les grandes entreprises ? Comment expliquer
les profits engendrés sans accumulation industrielle ?
Pineault est un spécialiste de la financiarisation
de l’économie. Je vous laisse écouter comment il explique l’action de cette
nouvelle sphère économique, intimement liée à l’économie réelle, au coeur de la
pratique syndicale, sur les trois rapports sur lesquels reposent toute économie
capitaliste, le rapport d’entreprise, le rapport salarial et le rapport de
consommation. L’intérêt de la présentation de Pineault tient notamment à ce
qu’il insiste sur la nature politique des différents modes de rémunération. Les
salaires n’ont pas toujours été rattachés à la croissance économique. Avant les
luttes des syndicats et l’intervention de l’État pour arriver en arriver à des
salaires décents, puis de consommation, il y avait les salaires de
subsistance, de simple reproduction de la force de travail. Le mouvement
syndical doit aujourd’hui se demander s’il veut toujours relancer le tandem salaire
et croissance économique, sans oublier que cette norme est liée à une période très
spécifique de l’histoire du mouvement syndical où il existait effectivement un lien
direct entre l’accroissement de niveau de vie des salariés et la croissance
économique. À garder en tête, le salaire dans les sociétés capitalistes est
une grandeur politique, il n’y a aucun lien naturel entre la
productivité d’un travailleur et sa rémunération.
Je vous invite à jeter un coup d’œil aux autres
présentations du colloque, toutes disponibles en ligne sur le site de webtv.coop.
Est-ce que tu pourrais ajouter un lien direct vers la présentation Malaka?
RépondreEffacer