lundi 21 octobre 2013

L’économiste syndical confronté à son pire cauchemar : admettre qu’il s’est fait prendre dans une lutte de classe…


On ne peut comprendre l’évolution du syndicalisme et ses défis actuels sans s’attarder à l’évolution du contexte politico-institutionnel et économique dans lequel il évolue. C’est la contribution que le sociologue et économiste Éric Pineault a voulu apporter lors du Colloque sur le travail décent et le rôle des syndicats, qui s’est tenu à Québec le 7 octobre dernier lien. Pineault  a en effet tenté de cerner le contexte d’économie politique nord-américain actuel, en revenant sur son évolution durant le XXe siècle. Jusqu’à il y a 5 ou 6 ans, on pouvait toujours invoquer le néolibéralisme comme pour tenter d’expliquer les mécanismes d’action de l’économie globalisée. Depuis les mouvements Occupy, il est difficile de faire abstraction de cette élite, le 1%, qui a connu une trajectoire très différente de l’ensemble de la population mondiale ces dernières années. Pour Pineault, il faut aller au-delà du constat de la croissance des inégalités sociales et admettre que nous nous sommes fait prendre dans une lutte de classe… En effet, on ne peut saisir les difficultés que connait le syndicalisme depuis une vingtaine d’années si on ne comprend pas qu’une classe est en lutte contre celle des salariés, dans un rapport de force qui lui est très favorable.

Il utilise la notion de modération salariale comme angle d’attaque pour comprendre le contexte d’économie politique de nos économies avancées et pour insister sur la nouvelle lutte des classes qui s’y joue. L’idée de modération salariale renvoie au fait que nos salaires et revenus stagnent en contexte de stagnation économique, alors que les très hauts salaires explosent, réalité qui s’est graduellement mise en place depuis une vingtaine d’années. Le fameux 1% forme une classe sociale distincte, en ce qu’elle a réussi à imposer une norme de revenu radicalement différente de celle qui vaut pour le reste de la population. Alors que les salaires sont normalement rattachés à la croissance - ce qui est problématique dans la mesure où nos économies sont en décroissance depuis les années 70, phénomène séculier et non pas temporaire – cette élite a su arrimer son système de rémunération à la profitabilité des entreprises, dont très peu de gens profitent au final. Les salaires des dirigeants d’entreprises sont en effet directement arrimés aux profits des entreprises.

Ce qui est particulièrement problématique pour le syndicaliste, c’est que les grandes entreprises continuent à engranger des profits records malgré le contexte de ralentissement des taux de croissance… C’est désormais le syndicaliste qui doit réclamer une croissance économique forte s’il veut que les salaires augmentent, position pour le moins inédite. Il se trouve devant un vrai casse-tête : comment comprendre que les grandes entreprises continuent à réaliser des profits record en contexte de ralentissement des taux de croissance et de leur taux d’investissement dans l’économie (réelle), ce qui se traduit par une surépargne pour les grandes entreprises ? Comment expliquer les profits engendrés sans accumulation industrielle ?

Pineault est un spécialiste de la financiarisation de l’économie. Je vous laisse écouter comment il explique l’action de cette nouvelle sphère économique, intimement liée à l’économie réelle, au coeur de la pratique syndicale, sur les trois rapports sur lesquels reposent toute économie capitaliste, le rapport d’entreprise, le rapport salarial et le rapport de consommation. L’intérêt de la présentation de Pineault tient notamment à ce qu’il insiste sur la nature politique des différents modes de rémunération. Les salaires n’ont pas toujours été rattachés à la croissance économique. Avant les luttes des syndicats et l’intervention de l’État pour arriver en arriver à des salaires décents, puis de consommation, il y avait les salaires de subsistance, de simple reproduction de la force de travail. Le mouvement syndical doit aujourd’hui se demander s’il veut toujours relancer le tandem salaire et croissance économique, sans oublier que cette norme est liée à une période très spécifique de l’histoire du mouvement syndical où il existait effectivement un lien direct entre l’accroissement de niveau de vie des salariés et la croissance économique. À garder en tête, le salaire dans les sociétés capitalistes est une grandeur politique, il n’y a aucun lien naturel entre la productivité d’un travailleur et sa rémunération.

Je vous invite à jeter un coup d’œil aux autres présentations du colloque, toutes disponibles en ligne sur le site de webtv.coop.

Malaka Rached-d’Astous

1 commentaire:

  1. Est-ce que tu pourrais ajouter un lien direct vers la présentation Malaka?

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