Au
mois de mai dernier, on annonçait dans les journaux qu’une loi spéciale (projet
de loi 142) a été adoptée pour forcer le retour au travail des
travailleurs de la construction. Ceux-ci étaient en grève afin de revendiquer
le renouvellement de leur convention collective, le maintien de leur pouvoir
d’achat, une bonification de leurs régimes de retraites et d’assurances
collectives.[1]
D’autres sujets ont été abordés comme la mobilité de la main-d’œuvre, les temps
supplémentaires, la flexibilité de l’industrie, les salaires, les primes et les
horaires de travail[2].
Cependant, l’offre qu’ils ont reçue de la partie patronale après plusieurs pourparlers
avec ces derniers ne prend pas en compte leurs demandes. Cela les oblige ainsi à
déclencher une grève générale illimitée; grève qui sera brisée quelques jours
plus tard par le décret du premier ministre Couillard qui les oblige à
retourner au travail, alors qu’aucune convention collective n’est encore
signée. Cette loi adoptée par le gouvernement québécois prévoit une hausse de
salaire de 1.8 % pour les salariés jusqu’à la signature d’une nouvelle
entente et les deux parties ont jusqu’à octobre 2017 pour arriver à une
entente, sans quoi un arbitre sera choisi pour déterminer les conditions des
ouvriers en fonction de critères choisis par la ministre du Travail, Madame
Dominique Vien[3].
Le
philosophe anglais John Locke définit le travail salarié comme un instrument
émancipatoire et un exercice de la liberté individuelle. Et c’est exactement ce
que les travailleurs de la construction ont essayé d’atteindre avec leur
demande de renouvellement de convention collective. Entre autres, sans la
signature d’une nouvelle convention, les travailleurs ne toucheront pas « leurs
augmentations de salaire et les autres gains monétaires de façon rétroactive »,
ce qui totalise une perte pour les employés d’environ 8 millions par semaine.[4] Ainsi, sans l’accès au
salaire qui leur est dû, ils perdent leur pouvoir d’achat et une partie de leur
liberté individuelle. Avec l’échec des négociations et l’intervention du
gouvernement dans les pourparlers, le travail qui devait être libérateur et
émancipateur se transforme, comme le définit Marx, en moyen de domination sur
les employés de la construction. Le travail devient ainsi aliénant.
Les
enjeux que les travailleurs de la construction veulent aborder ne concernent
pas seulement les salaires, mais aussi des enjeux d’autonomie et de droits. Ils
ne veulent pas seulement améliorer la quantité de travail (temps de salaire,
continuité d’emplois, etc.), mais aussi la qualité (avantages sociaux,
qualification, spécificité, etc.) Pour se faire, les syndicats ont été forcés
de passer d’un syndicalisme gestionnaire à un syndicalisme militant. En effet,
voyant que leurs voix ne seraient pas entendues, ils ont été forcés de laisser
la table de discussion pour la rue. Plusieurs membres des syndicats ont alors
défilé dans les rues de Montréal ainsi que devant le parlement où la loi
spéciale devait être votée pour démontrer leur mécontentement.[5] Il y a donc eu ce que dans
le temps on pourrait qualifier de résistance « ouvrière ». De ce
fait, des réactions spontanées telles que la grève et l’arrêt de travail ont
été prises en réponse de l’offre des membres du patronat.
L’intervention
de l’état dans les négociations n’est pourtant bonne pour aucune des deux
parties. De ce fait, la mise en place de cette loi limite les possibilités de
négociation libre entre les syndicats et les groupes patronaux[6], puisqu’ils ont maintenant
un temps limité afin d’arriver à un accord avant l’intervention de la ministre
Vien. De plus, si aucune entente n’est faite entre les deux parties et que
(comme il est prédictible) la ministre penche du côté des groupes patronaux,
l’efficacité des employés mécontents sera affectée. Ainsi, cela bénéficierait
aux patrons d’arriver à un accord avec les employés avant l’échéance de cette
date afin d’évacuer la dimension de conflit de travail et ainsi accroitre la
productivité, comme l’entend le philosophe Adam Smith.
Finalement,
l’intervention de l’état et la mise en place de la loi spéciale sont une
offense envers les syndicats. De ce fait, en intervenant avec la loi 142,
en mettant fin aux moyens de pression et en imposant un médiateur, l’état brise
en quelque sorte la légitimité des syndicats en leur faisant savoir (ainsi qu’au
reste de la population) qu’ils ne peuvent pas gérer eux-mêmes les négociations
et que sa présence sera toujours nécessaire. C’est du moins ce que plusieurs
membres des syndicats de la construction pensent de cette loi spéciale de la
part du gouvernement qu’ils trouvent totalitaire.
[1] «Les travailleurs de la construction du Québe se préparent à une grève le 14 mai», Radio-Canada, mise à jour le 16 mai 2017, < http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1034177/travailleurs-construction-negociation-menace-greve-24-mai >, consulté le 22 septembre 2017
[2] «Négo IC/I (construction) 2017» Association de la construction du Québec, < http://www.acq.org/nego/168-pro-salle-de-presse.html >, consulté le 23 septembre 2017
[3] Lecavalier, Charles, «Grève dans la construction : la loi spéciale adoptée, retour au travail mercredi», Le journal de Québec, mise à jour le 30 mai 2017,
<
http://www.journaldequebec.com/2017/05/29/loi-speciale-dans-la-construction--il-va-falloir-casser-ca-cette-histoire-la---dominique-vien
>, consulté le 22 septembre 2017
[4] «Les travailleurs de la construction déposent une offre finale», Radio-Cananda, mise à jour le 11 mai 2017,
< http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1033264/syndicat-construction-mandat-greve-convention-collective
>, consulté le 22 septembre 2017
[5] Nicolas Lachance, «Tension et frustration devant l'Assemblée nationale», Le journal de Québec, mise à jour le 30 mai 2017,
<
http://www.journaldequebec.com/2017/05/29/manifestation-monstre-des-travailleurs-de-la-construction>, consulté le 22 septembre 2017
[6] Lecavalier, Charles, «Grève dans la construction : la loi spéciale adoptée, retour au travail mercredi», Le journal de Québec, mise à jour le 30 mai 2017,
<
http://www.journaldequebec.com/2017/05/29/loi-speciale-dans-la-construction--il-va-falloir-casser-ca-cette-histoire-la---dominique-vien
>, consulté le 22 septembre 2017
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