mercredi 27 septembre 2017

Le "droit" à la déconnexion

Est-on au travail si on n’est pas au bureau? [1]
La question que pose l’auteure de l’article est clairement inscrite dans une réalité du 21e siècle où d’une part les technologies permettent la mise en distance de plusieurs tâches entre l’employé-e et le lieu de travail traditionnel de l’entreprise, mais d’autre part met en relief les changements dans l’organisation du travail qui se retrouve de plus en plus parcellisée et où la flexibilité exigée aux employé-es est en hausse. Alors que la technologie permet une plus grande flexibilité qui ne doit pas être considérée d’emblée comme néfaste – suivant notamment l’argument de l’auteure d’une économie de temps permettant une meilleure conciliation travail-famille – cette flexibilité se conjugue à la fragilisation de la protection sociale liée à l’emploi, mais permet aussi des dérives dans ce qu’un employeur peut exiger à ses employé-es hors des heures de bureau. Cela a pour effet de complexifier la comptabilité des heures étant rémunérées ainsi que l’intrusion insidieuse du travail dans chaque secondes de la vie privée.

L’auteure de l’article propose de répondre au problème de la délimitation du travail réalisé à l’extérieur à la fois de l’espace et du temps accordées au travail en modernisant la Loi sur les normes du travail (LNT), s’inspirant de la France qui a intégré dans son code du travail un « droit à la déconnexion », qui se veut un droit pour les salariés et un devoir pour les entreprises. Suivant cette idée, les entreprises pourraient par exemple fermer leurs serveurs informatiques et les employé-es pourraient refuser de répondre aux courriels, appels ou messages textes de leur employeur. Bien que cette volonté de moderniser la LNT vise à combler un besoin qui permet l’exploitation des forces de travail dans chaque parcelle de l’existence, je vois difficilement comment elle peut lutter réellement contre l’intrusion des employeurs dans la vie privée dans le contexte néolibéral, caractérisé par la mise en concurrence des travailleurs et travailleuses[2]. Ainsi, dans une atmosphère de « lutte des places »[3] tout est permis pour ressortir vainqueur – incluant faire plaisir à son employeur en renonçant à son droit à la déconnexion. Dans cette optique, la loi me paraît absurde dans son asymétrie : d’une part le travailleur a le droit de refuser de répondre aux courriels, mais peut bien le faire s’il a envie de se démarquer par rapport à ses collègues, face à l’employeur et d’autre part, la loi n’empêche pas aux entreprises de contacter ses employé-es en dehors du temps ou de l’espace de travail, mais bien d’en faire un devoir. L’utilisation du terme « devoir » me semble problématique dans la mesure où il fait appel à la bonne volonté, au devoir moral de l’employeur de bien traiter ses employés alors que l’existence même du modèle d’entreprise capitaliste est de maximiser les profits et réduire les coûts (salaires). Sur l’éthique morale de l’entreprise, on repassera.

En somme, une loi de ce genre peut être saluée, car elle répond à un besoin spécifique des employé-es qui se font contacter, harceler et dont on exige de répondre rapidement aux courriels ou au téléphone dans de courts délais qui pousse les salarié-es à devenir disponibles en tout temps dans une concurrence exacerbée si l’on veut garder son emploi ou espérer obtenir une promotion. Cela dit, je vois difficilement comment une loi de ce genre qui repose à la fois sur le droit de refuser qui appartient au travailleur-se ainsi que le devoir moral de l’entreprise peut empêcher le « sujet néolibéral »[4] qui prendra tous les moyens pour se distinguer sur le marché de l’emploi qui gagne en souplesse et en flexibilité du capitalisme avancé.





[1] Tremblay, Sophie (2017) « Est-on au travail si on n’est pas au bureau? » Journal Métro En ligne : http://journalmetro.com/plus/carrieres/1203159/est-on-au-travail-si-on-nest-pas-au-bureau/ (Mis à jour le 25/09/17)
[2] Dardot, Pierre et Christian Laval (2009) La nouvelle raison du monde : essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris.
[3] De Gaulejac, Vincent, Blondel, Frédéric et Isabel Taboada-Leonetti, La lutte des places, Desclée De Brouwer, Paris, 1994
[4] Dardot, Pierre et Christian Laval, Op. cit. 

Aucun commentaire:

Publier un commentaire