Les manifestations contre la réforme du
code du travail français soulèvent de nouvelles questions concernant le
syndicalisme et, plus généralement, la mobilisation des travailleurs. Cette
réforme s’inscrit dans un mouvement de flexibilisation du travail à travers le
désengagement de l’État d’auprès des travailleurs, mouvement dont on peut
situer l’origine aux années 1980. À l’heure où l’ubérisation devient la
nouvelle tendance, envahissant un nombre croissant de professions [1], comment
rassembler des personnes aux profils divers contre des « réformes » qui ne leur
promettent comme avenir que le précariat ? Le « rassemblement » est donc une
thématique d’actualité pour tous les leaders syndicaux et autres porte-paroles
de travailleurs mécontents. Avant de parler des enjeux de la mobilisation,
plantons le décor des dernières manifestations, à savoir ladite réforme du code
du travail.
Cette réforme est composée de cinq
ordonnances (signées par le président Macron vendredi dernier, le 22 septembre)
qui visent à donner davantage de liberté aux entreprises : plafonnement
des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, réduction du délai
de recours après un licenciement, possibilité de négocier directement avec les
salariées dans les entreprises de moins de 20 personnes, fusion des instances
représentatives du personnel… [2]. Le gouvernement signe donc un pacte avec le
monde des affaires (sans garantie de contrepartie, toutefois, et cette clause est
importante), en assouplissant la législation du travail au détriment des
travailleurs. On dirait bien que le gouvernement français ait été convaincu par
le patron du MEDEF, Pierre Gattaz, lorsque celui-ci clame que : « Seule l’entreprise
crée de l’emploi » [3]. Les ordonnances mettent de l’avant la
négociation : « c'est désormais la négociation qui fixera les règles de
fonctionnement dans l'entreprise et dans la branche » [4]. Mais dans quelle
mesure cette « négociation » peut-elle se faire de façon équitable, sachant que
l’une des parties détient les moyens de la survie de l’autre ? En effet, mettre l’emphase sur la « négociation » à petite échelle,
c’est oublier le fait que le rapport salarial est tout sauf un rapport d’égal à
égal. Au contraire, c’est un rapport de domination :
« Si le premier sens de la domination est la nécessité pour un agent d’en passer par un autre pour accéder à son objet de désir, alors à l’évidence le rapport salarial est un rapport de domination. (…) Dans l’économie monétaire à travail divisé du capitalisme, il n’y a pas plus impérieux que le désir d’argent, par conséquent pas de plus puissante emprise que celle de l’enrôlement salarial.» (Lordon, 2010, 30)
Le désengagement de l’État d’auprès des
travailleurs rend ce rapport d’autant plus visible, puisqu’il consiste en
l’effacement de son rôle d’intermédiaire entre employeurs et salariés. Dans ce
contexte, la mobilisation des travailleurs est une absolue nécessité.
En opposition à la réforme du code du
travail, plusieurs manifestations ont eu lieu. Celle qui nous intéresse s’est
réalisée le 12 octobre à l’initiative de la CGT (Confédération générale du
travail). A l’intérieur même de la contestation, il existe des divisions qui sont
les traces des transformations des marchés du travail des dernières décennies :
au profil du traditionnel syndicaliste CGT salarié de longue date (travailleur « typique »),
s’ajoute le profil du jeune auto entrepreneur précarisé (travailleur « atypique »).
Tout semble séparer ces deux types de travailleurs : leur génération
d’appartenance, leur statut d’emploi, leur engagement politique… Si la
catégorie de « travailleurs atypiques » ne se réduit pas aux
autoentrepreneurs, ceux-ci sont toutefois des exemples parfaits de ces
travailleurs dont les situations d’emploi rendent difficile l’accès à la
négociation collective. La condition salariale aujourd’hui est donc loin d’être
unique. Au contraire, il existe une multiplicité de situations de travail qui
ne se laissent être appréhendées dans une vision traditionnelle des syndicats
comme représentant une classe homogène (Noiseux, 2014, 87).
Les syndicats vieillissent, tandis que de
nouvelles formes d’organisation collective voient le jour. Le CLAP est l’une d’entre
elles : il s’agit d’un collectif parisien se donnant pour mission de
défendre les droits et les conditions de travail des livreurs « autoentrepreneurs »
(Deliveroo, Foodora, Stuart, Uber, etc.) [5], avec l’ambition ultime de créer
des plateformes autogérées. Une initiative « par le bas » à saluer, qui
pose la question de la pertinence des actions syndicales aujourd’hui : le
syndicalisme traditionnel peut-il évoluer pour s’adapter aux nouvelles réalités
socioéconomiques ? Les termes « évoluer » et « adapter »
sont les maîtres mots du discours politique dominant – puisque There Is No Alternative, le virage
néolibéral est une fatalité qui ne laisse d’autre choix que l’adaptation individuelle
– et il convient donc de les utiliser avec précaution. Toutefois la question se
pose. Le fondateur du CLAP affirme que l’ambition des autoentrepreneurs qu’il
défend n’est pas de se stabiliser dans une forme salariale classique, mais serait
plutôt de créer une nouvelle forme d’emploi de style coopératif [6]. Impossible
donc de considérer la situation du travail présente comme une parenthèse
néolibérale qui doit éventuellement se refermer pour laisser de nouveau place à
une classe sociale homogène. La diversité des situations de travail est
acquise. Par conséquent, doit-on œuvrer pour une rénovation du syndicalisme, ou
bien pour une institutionnalisation des nouvelles organisations de
travailleurs? La question reste ouverte.
Mais une chose est certaine : quelle que soit leur forme, ces
organisations ont du pain sur la planche.
Sources
Article de départ: Marteau, S. (2017, 11 septembre). Réforme du code du travail: les mécontents vont-ils parvenir à s'additionner? Le Monde. Repéré à :
http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2017/09/11/le-12-septembre-tous-ensemble-tous-ensemble_5183786_4497186.html
http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2017/09/11/le-12-septembre-tous-ensemble-tous-ensemble_5183786_4497186.html
cidTexte=JORFTEXT000035607302&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000035606911
[6] https://www.franceculture.fr/emissions/itineraire-bis/ces-livreurs-velo-qui-veulent-saffranchir-des-plateformes
Bibliographie
Lordon, F. Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La Fabrique, 2010, 213 p.
Noiseux, Y. Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec, Presses de l'université du Québec, 2014, 276 p.
Bibliographie
Lordon, F. Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La Fabrique, 2010, 213 p.
Noiseux, Y. Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec, Presses de l'université du Québec, 2014, 276 p.
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