Dans un récent article du journal de montréal, nous
apprenons que Global Technology Services, une filiale du groupe IBM, a décidé d’imposer
une « mise à niveau des compétences à des employés spécialisés dans les
stratégies de sous-traitance », ce qui impliquerait une réduction de
salaires temporaire pour ces derniers. En gros, l’entreprise prévoit une baisse
de 10% du salaire pour les employés sélectionnés, qui n’auraient « pas
suivi le rythme de l’acquisition des compétences et l’expertise nécessaires
pour répondre aux besoins changeants des clients, de la technologie et des
exigences de marché[1] ».
Pour plusieurs travailleurs et organisateurs syndicaux, il s’agit d’une
pratique visant à faire quitter leur emploi par les travailleurs interpellés,
qui ne pourraient supporter ces baisses de salaire.
Il faut dire qu’IBM et ses filiales sont connues pour leurs pratiques aggressives en terme de gestion des emplois. Par exemple, alors qu’ils signaient un pacte avec l’État de New York qui prévoyait garantir 3100 emplois de haute technologie dans la région, ils coupaient d’un autre côté plus de 3900 emplois en affirmant « rebalancer » sa main-d’œuvre[2].
Or, l’entreprise remplace la majorité de ces emplois à l’étranger, notamment en
Inde, ce qui lui permet de réduire ses coûts de main-d’œuvre, d’autant plus qu’il
s’agit d’emplois dématérialisés. Les travailleurs indiens eux-mêmes se sentent mal à l'aise face à ce
genre de pratique, selon un représentant de la « National Organisation for
Software and Technology Professionals » (NOSTOP)[3].
Cette baisse des salaires nous semble malheureusement bien
représentative des pratiques entrepreneuriales actuelles. L’individualisation
du rapport salarial[4]
prends ainsi de nouvelles formes, puisqu’en plus de devoir gérer lui-même sa
négociation face à l’entreprise, le travailleur doit lui-même entretenir son « employabilité »
en suivant de son propre chef des formations diverses lui permettant de rester
compétitif par rapport aux autres travailleurs. Cela est maintenant inclus dans
l’argumentaire officiel de l’entreprise, qui ne s’en cache même plus. Les
travailleurs doivent rester disciplinés, pour reprendre le concept de Dardot et
Laval, en se formant par eux-mêmes pour entrer en compétition avec la formation
des autres travailleurs. Pire encore, cela procède d’une stratégie d’externalisation
des coûts par les entreprises qui se déchargent de toute responsabilité de
formation, même si elles en sont les premières bénéficiaires. Il s’agit là d’un
réel renversement dans l’idée même de l’utilité de conserver une main-d’œuvre bien
formée : On prend la progression des compétences comme un donné auquel les
travailleurs doivent s’adapter, et non comme une variable qui permet à l’entreprise
de rester compétitive.
Il nous semble aussi important de noter que cette
compétition est maintenant proprement internationale. Alors que le Sud a
longtemps vu le développement d’emplois industriels, créant une division
internationale Nord/Sud axée sur une différence dans le type de main-d’œuvre,
les changements récents de l’industrie informationelle ont vu une augmentation
des emplois de haute technologie en Inde, notamment. La compétition entre les
travailleurs se fait maintenant à l’International, et donc en dehors des cadres
législatifs et syndicaux traditionnels. Nul besoin, donc, de détruire méthodiquement
les collectifs puisqu’ils n’existent tout simplement pas dans ce contexte
international.
Est-ce donc la fin de l’emploi occidental, comme veulent
nous le dire tant d’auteurs? En fait, cela fait ressortir une idée reçue selon
laquelle les emplois délocalisés à l’étranger sont pris des travailleurs qui n’ont
rien à perdre, qui vivent dans la plus grande pauvreté et qui feraient tout
pour avoir un emploi. Or, selon Rajiv Dabhadkar, fondateur de la NOSTOP, les
travailleurs indiens sont particulièrement conscients que les emplois qu’ils
voient apparaître dans ces grandes compagnie sont largement sous-payées
par rapport à leurs homologues américains ou européens. C’est pourquoi l’organisation
appuie le boycott des groupes de tech
workers américains, qui refusent de travailler pour des entreprises avec
des ce genre de pratiques[5]. Nous voyons bien là ce que Castells présente dans son chapitre sur la transformation du travail et de l'emploi, quand il affirme que les réseaux de plus en plus interconnectés de l'économie contemporaine tendent à gommer "de plus en plus les écarts de qualification et de technologie."[6]
Ainsi, il semblerait que, si l’économie informationelle permet une mise en
compétition des travailleurs au niveau international, le développement de ces
réseaux permettrait du même coup de lier les revendications des travailleurs au
niveau international, ce que les États n’ont que rarement réussi. Sans
nécessairement être trop optimiste face à l’état des choses, il nous semble
néanmoins important de prendre acte de ces possibilités d’organisation
internationale des travailleurs, permettant d’axer nos luttes dans une
perspective plus globale.
[1]
Agence QMI, « IBM réduira de 10% le salaire d’employés en formation »,
Journal de Montréal, 18 septembre
2014
[2] Thibodeau, Patrick. « IBM
workforce cuts raise questions about pact with New York », Computer World, 27 février 2014, [En
Ligne] http://www.computerworld.com/article/2488058/it-careers/ibm-workforce-cuts-raise-questions-about-pact-with-new-york.html
[3] Gross, Grant. « Tech worker
groups boycott IBM, Infosys, Manpower », Computer World, 2 juin 2014, [En Ligne] http://www.computerworld.com/article/2490114/it-careers/tech-worker-groups-boycott-ibm--infosys--manpower.html
[4]
Bourdieu, Pierre. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998, Paris
Je me demande si les travailleurs feraient un pied-de-nez à ces grandes entreprises, comment elles réagiraient ? Pire encore, croyez-vous qu'elles opteraient pour ce genre de gestion ?
RépondreEffacer