mardi 23 septembre 2014

Rémunération des formations : La solution IBM

Dans un récent article du journal de montréal, nous apprenons que Global Technology Services, une filiale du groupe IBM, a décidé d’imposer une « mise à niveau des compétences à des employés spécialisés dans les stratégies de sous-traitance », ce qui impliquerait une réduction de salaires temporaire pour ces derniers. En gros, l’entreprise prévoit une baisse de 10% du salaire pour les employés sélectionnés, qui n’auraient « pas suivi le rythme de l’acquisition des compétences et l’expertise nécessaires pour répondre aux besoins changeants des clients, de la technologie et des exigences de marché[1] ». Pour plusieurs travailleurs et organisateurs syndicaux, il s’agit d’une pratique visant à faire quitter leur emploi par les travailleurs interpellés, qui ne pourraient supporter ces baisses de salaire.

Il faut dire qu’IBM et ses filiales sont connues pour leurs pratiques aggressives en terme de gestion des emplois. Par exemple, alors qu’ils signaient un pacte avec l’État de New York qui prévoyait garantir 3100 emplois de haute technologie dans la région, ils coupaient d’un autre côté plus de 3900 emplois en affirmant « rebalancer » sa main-d’œuvre[2]. Or, l’entreprise remplace la majorité de ces emplois à l’étranger, notamment en Inde, ce qui lui permet de réduire ses coûts de main-d’œuvre, d’autant plus qu’il s’agit d’emplois dématérialisés. Les travailleurs indiens eux-mêmes se sentent mal à l'aise face à ce genre de pratique, selon un représentant de la « National Organisation for Software and Technology Professionals » (NOSTOP)[3].

Cette baisse des salaires nous semble malheureusement bien représentative des pratiques entrepreneuriales actuelles. L’individualisation du rapport salarial[4] prends ainsi de nouvelles formes, puisqu’en plus de devoir gérer lui-même sa négociation face à l’entreprise, le travailleur doit lui-même entretenir son « employabilité » en suivant de son propre chef des formations diverses lui permettant de rester compétitif par rapport aux autres travailleurs. Cela est maintenant inclus dans l’argumentaire officiel de l’entreprise, qui ne s’en cache même plus. Les travailleurs doivent rester disciplinés, pour reprendre le concept de Dardot et Laval, en se formant par eux-mêmes pour entrer en compétition avec la formation des autres travailleurs. Pire encore, cela procède d’une stratégie d’externalisation des coûts par les entreprises qui se déchargent de toute responsabilité de formation, même si elles en sont les premières bénéficiaires. Il s’agit là d’un réel renversement dans l’idée même de l’utilité de conserver une main-d’œuvre bien formée : On prend la progression des compétences comme un donné auquel les travailleurs doivent s’adapter, et non comme une variable qui permet à l’entreprise de rester compétitive.

Il nous semble aussi important de noter que cette compétition est maintenant proprement internationale. Alors que le Sud a longtemps vu le développement d’emplois industriels, créant une division internationale Nord/Sud axée sur une différence dans le type de main-d’œuvre, les changements récents de l’industrie informationelle ont vu une augmentation des emplois de haute technologie en Inde, notamment. La compétition entre les travailleurs se fait maintenant à l’International, et donc en dehors des cadres législatifs et syndicaux traditionnels. Nul besoin, donc, de détruire méthodiquement les collectifs puisqu’ils n’existent tout simplement pas dans ce contexte international.

Est-ce donc la fin de l’emploi occidental, comme veulent nous le dire tant d’auteurs? En fait, cela fait ressortir une idée reçue selon laquelle les emplois délocalisés à l’étranger sont pris des travailleurs qui n’ont rien à perdre, qui vivent dans la plus grande pauvreté et qui feraient tout pour avoir un emploi. Or, selon Rajiv Dabhadkar, fondateur de la NOSTOP, les travailleurs indiens sont particulièrement conscients que les emplois qu’ils voient apparaître dans ces grandes compagnie sont largement sous-payées par rapport à leurs homologues américains ou européens. C’est pourquoi l’organisation appuie le boycott des groupes de tech workers américains, qui refusent de travailler pour des entreprises avec des ce genre de pratiques[5]. Nous voyons bien là ce que Castells présente dans son chapitre sur la transformation du travail et de l'emploi, quand il affirme que les réseaux de plus en plus interconnectés de l'économie contemporaine tendent à gommer "de plus en plus les écarts de qualification et de technologie."[6]



Ainsi, il semblerait que, si l’économie informationelle permet une mise en compétition des travailleurs au niveau international, le développement de ces réseaux permettrait du même coup de lier les revendications des travailleurs au niveau international, ce que les États n’ont que rarement réussi. Sans nécessairement être trop optimiste face à l’état des choses, il nous semble néanmoins important de prendre acte de ces possibilités d’organisation internationale des travailleurs, permettant d’axer nos luttes dans une perspective plus globale.




[1] Agence QMI, « IBM réduira de 10% le salaire d’employés en formation », Journal de Montréal, 18 septembre 2014
[2] Thibodeau, Patrick. « IBM workforce cuts raise questions about pact with New York », Computer World, 27 février 2014, [En Ligne] http://www.computerworld.com/article/2488058/it-careers/ibm-workforce-cuts-raise-questions-about-pact-with-new-york.html
[3] Gross, Grant. « Tech worker groups boycott IBM, Infosys, Manpower », Computer World, 2 juin 2014, [En Ligne] http://www.computerworld.com/article/2490114/it-careers/tech-worker-groups-boycott-ibm--infosys--manpower.html
[4] Bourdieu, Pierre. « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998, Paris
[5] Gross, Grant. Ibid.
[6] Castells, Manuel. « La transformation du travail et de l’emploi. Travail en réseau, chômage et travail flexible », dans La société en réseaux. L’ère de l’information, 1998, Fayard, Paris, p.278

1 commentaire:

  1. Je me demande si les travailleurs feraient un pied-de-nez à ces grandes entreprises, comment elles réagiraient ? Pire encore, croyez-vous qu'elles opteraient pour ce genre de gestion ?

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