lundi 15 septembre 2014

Crise du logement et situation de pauvreté en emploi



Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) nous apprenait cette semaine dans son « Dossier noir Logement et pauvreté » qu’un-e Montréalais-e sur 10 consacre plus de 80 % de son revenu à payer son loyer, un chiffre qui aurait augmenté de 26 % entre 2006 et 2011. La situation est encore plus préoccupante lorsqu’on réalise dans la même étude, que plus 40 % des ménages qui vivent en appartement consacrent plus du tiers de leur salaire au loyer. Dépenser plus du tiers de son salaire pour avoir un toit, c’est ce qui est considéré comme étant le seuil d’abordabilité, la limite au-delà de laquelle les gens devront couper dans d’autres besoins afin d’être en mesure de payer leur loyer. (Article de Radio-Canada) Pour améliorer la situation, le FRAPRU réclame la construction de 50 000 nouveaux logements sociaux. (Article de La Presse).

Face à ce portrait assez sombre de la situation du logement à Montréal, nous pouvons nous questionner. Comment se fait-il que nous en soyons rendus là? Selon le FRAPRU, c’est dans la disparité entre l’augmentation des revenus et l’augmentation du prix des loyers que se trouve la réponse. Or, cette analyse n’est pas partagée par tous et toutes, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) la contredit d’ailleurs.

Malgré tout, nous pouvons nous questionner à savoir, qui sont ces locataires qui se trouvent dans une situation aussi alarmante? Tous ces gens sont-ils sur le bien-être social ou le chômage? À en croire les résultats publiés par le FRAPRU, non. Plusieurs travailleuses et travailleurs se trouvent dans cette situation et peine à arriver les deux bouts à la fin du mois.


C’est en prenant conscience de ce type de statistiques que le terme travailleurs-euses pauvres prend tout son sens. Être un-e travailleur-euse pauvre, c’est cumuler à la fois des conditions de vie précaires et des conditions de travail précaires, c’est travailler tout en n’arrivant pas à satisfaire ses besoins de base. Et en terme de besoins, être capable de se loger est considéré comme un besoin de base, et avec raison.

Lorsque travailler ne permet pas d’échapper à la pauvreté, il faut se demander ce qui cloche. Plusieurs théories tentent d’expliquer comment des travailleurs-euses peuvent se retrouver en situation de pauvreté. La précarisation du travail et la précarisation du système de protections sociales sont deux des thèses présentées par Pierre-Joseph Ulysse dans son article « Les travailleurs pauvres : de la précarité à la pauvreté en emploi. Un état des lieux au Canada/Québec, aux États-Unis et en France ». Selon Statistique Canada, 75% des travailleurs-euses pauvres sont en situation de travail à temps partiel. Par contre, d’autres types de travail sont fréquemment associés à la précarité tels que les emplois à contrat, le travail autonome, le travail sur appel. Bref, tout emploi qui n’assure pas un revenu régulier et stable dans le temps. Ainsi, la durée du travail sur une période d’un an est, toujours selon l’analyse d’Ulysse (2009), l’un des éléments contribuant à la pauvreté des personnes en emploi. Selon l’auteur, ce facteur serait même plus déterminant pour la situation de pauvreté des travailleurs-euses que le salaire minimum. Il cite d’ailleurs Bourdieu à ce sujet en affirmant que la précarité reposerait sur : « l’institution d’un état généralisé et permanent d’insécurité visant à contraindre les travailleurs à la soumission, à l’acceptation de l’exploitation ». (Bourdieu, 1998 in Ulysse, 2009, p.83)

Or, bien que la précarisation du marché de l’emploi soit une piste importante à explorer, la thèse de la précarisation de la protection sociale nous semble essentielle puisqu’il s’agit d’un élément sur lequel nos gouvernements ont un pouvoir direct et pourraient agir rapidement. Il est en effet important selon moi de se questionner sur l’impact que les décisions politiques peuvent avoir sur les travailleurs-euses et sur le rôle des gouvernements dans cette situation. Dans le contexte d’austérité actuel, cela nous semble encore plus important puisque nous sommes en droit de nous demander si la situation ne risque pas de s’aggraver dans les prochaines années. Bien que de nombreuses mesures gouvernementales puissent être mises en place pour améliorer la situation des travailleurs-euses pauvres, celle qui est réclamée le plus souvent au niveau provincial et en lien avec les logements est la construction de logements sociaux. Or, d’autres actions tout aussi importantes pourraient complémenter la construction de logements sociaux afin d’améliorer la situation financière d’une bonne partie de la population, des actions qui aborderaient plus directement la situation de précarité au travail dans laquelle de nombreuses personnes se trouvent. Selon moi, une réflexion collective s’impose à ce sujet afin non seulement de réfléchir à comment réduire les dépenses de l’État comme le propose le gouvernement actuel, mais surtout à comment améliorer les conditions de vie de ces personnes qui quotidiennement n’arrivent pas à combler leurs besoins essentiels, et ce, souvent même en travaillant.

Sources :
FRAPRU. 2014. Dossier noir, logement et pauvreté, chiffre et témoignages. 24 pages.  En ligne. http://www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2014/09/Dossier-noir-2014VF_web.pdf

Maheu, Marie-Ève. 2014. «Un Montréalais sur dix consacre plus de 80 % de son revenu à son loyer ». En ligne. Septembre, http://ici.radio-canada.ca/regions/montreal/2014/09/09/004-revenu-loyer-frapru-devoile-statistiques.shtml

Ulysse, Pierre-Joseph. 2009. « Les travailleurs pauvres : de la précarité à la pauvreté en emploi. Un état des lieux au Canada/ Québec, aux États-Unis et en France ». Lien social et Politique, no 61 (printemps), p.81-95. En ligne.  http://id.erudit.org.proxy.bibliotheques.uqam.ca:2048/iderudit/038473ar

Roy, Jérôme. 2014. « Le Québec vit une crise du logement, selon le FRAPRU » La Presse. En ligne. Septembre, http://www.lapresse.ca/actualites/201409/09/01-4798563-le-quebec-vit-une-crise-du-logement-selon-le-frapru.php


 
 

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