lundi 22 septembre 2014

La ville de Montréal et ses employéEs: Quel rapport de force?


Photo :  ICI Radio-Canada



  
Le 11 septembre dernier, sur le site internet de Radio-Canada est paru cet article traitant de la convocation des pompiers devant la Commission des relations du travail (Les pompiers de Montréal convoqués devant la commission des relations du travail). Le sujet de l’article était la hausse du temps de réponse des pompiers lors de leurs interventions en tant que premier répondant. Mentionnant ses inquiétudes face à cette conduite possiblement dangereuse de la part de ses employéEs, la ville de Montréal a décidé de faire appel à la Commission des relations du travail (CRT). Il faut noter que ce changement de comportement de la part des premiers répondants est un moyen de pression afin d’influencer le conflit sur les régimes de retraite.

Le projet de loi 3 vise une modification temporaire des régimes de retraite (Assemblée Nationale, projet de loi 3, 2014) selon les dires de Pierre Moreau, afin d'éponger le déficit fiscal qui s'élèverait à 3,9 milliards et inclurait 170 régimes de retraite touchant 122 000 personnes dont près de la moitié sont retraitéEs. Le gouvernement du parti libéral soutient également que cette mesure est prise par souci d'équité intergénérationnelle puisque la moitié de la dette a été contractée au moment où les retraitéEs actuelLEs étaient en poste (Radio-Canada, 12 juin 2014).

Bien que les questions d'équité intergénérationnelle et du déficit fiscal sont pertinentes et inévitables, nous souhaitons plutôt ici aborder cet article sous l'angle des luttes syndicales. En dépit du fait que nous soyons en accord ou non avec les revendications des employéEs de la ville, il est pertinent de se demander quelle place reste-t-il pour les luttes syndicales à l'ère néolibérale? S'il fut une époque où les employéEs se battaient et faisaient front commun pour revendiquer leurs droits et améliorer leurs conditions de travail; c'est plutôt la logique inverse qui opère aujourd'hui, il faut se battre pour ne pas perdre nos acquis. Nous aborderons donc ci-dessous trois éléments qui nous semblent fondamentaux dans les luttes actuelles: les moyens de pression et le droit de faire la grève, la délégitimation des revendications et la division puis la criminalisation et la judiciarisation.

En premier lieu, il est évident que les gouvernements en place lors de grève tentent de discréditer les moyens de pression utilisés par les employéEs vu la lutte d'intérêt et de pouvoir qui opère; une lutte à la conquête de l'opinion publique. Manque de professionnalisme (uniformes), endommagement des biens publics (autocollants),  démagogie (slogan) et, non  le moindre, comportement mettant en danger la sécurité des citoyens (délais d'attente lors d'intervention). La question qu'il faut se poser ici est la suivante: Quels moyens de pression les employéEs travaillant aux "services essentiels" possèdent-ils-elles pour faire pression sur leur employeur? Que ce soit les médecins, les employéEs de la poste, les infirmiers-ères, les préposéEs aux bénéficiaires, etc; peuvent-ils-elles conjuguer moyens de pression (réels et efficaces) tout en affectant d'aucune manière leurs fonctions? Il ne faut pas se leurrer, les uniformes et les autocollants ne feront pas reculer le gouvernement avec le projet de loi. Toutefois, des mesures plus intenses comme la réduction des services peuvent effectuer une pression suffisamment importante pour renverser le rapport de force. Par contre, des arguments démagogiques sont dès lors mobilisés assez rapidement puisque les gouvernements veulent s'assurer la faveur populaire en discréditant les moyens de pression utilisés ainsi qu'en démontrant "l'ampleur" des conséquences potentielles pouvant découler de leurs agissements. Ainsi, le champ potentiel d’actions des organisations syndicales diminue tout comme leur capacité de se lancer dans un rapport de force. Certains diront : oui, mais il y a le droit de grève dont disposent les employéEs syndiquéEs. À cette affirmation, nous rétorquerons : depuis quand est-ce légal de faire la grève? En effet, lorsque les gouvernements ont instauré le droit de grève, ils se sont dotés d’un immense pouvoir, celui de règlementer et d'encadrer le principal moyen de pression à la disposition des travailleurs-euses. Ainsi, la logique a été renversée et les grèves extérieures au barème ne sont maintenant plus une option considérée par les employéEs en plus d’être discréditéEs par les patrons ainsi que la population. Autrement dit, comme les employéEs ont un droit de faire la grève à un moment donné, cela signifie également qu’il y a un non-droit de faire la grève à tout autre moment. Auparavant, le droit de grève n’existait tout simplement pas, mais ce moyen de pression était tout de même utilisé, car il représentait probablement le moyen de pression le plus efficace.

En second lieu, le patronat ainsi que les gouvernements discréditent dans une large mesure les revendications des travailleurs-euses. L'argument souvent mobilisé selon lequel les employéEs de l'État sont trop gâtéEs et qu'ils-elles doivent faire face à une diminution de leurs conditions est perverti puisqu'il vient plutôt mettre de l'ombre sur l'énorme lot d'emplois composant avec de mauvaises conditions. De cette manière, on s'assure de culpabiliser une strate de la société en démontrant que de bonnes conditions ne sont pas viables et on s'assure ainsi que les gens qui ont de mauvaises conditions ne se mobiliseront point. L’objectif poursuivi, garder les profits et le rendement le plus élevé possible. Qui plus est, cette stratégie vient aussi diviser la population et les travailleurs-euses. D'un côté, les privilégiéEs et trop gatéEs, de l'autre, les travailleurs-euses acharnéEs qui gagnent le juste prix pour l’effort fourni. La division est d'ailleurs chose commune. En parlant d'équité intergénérationnelle, non seulement on vient responsabiliser les travailleurs-euses en leur faisant porter le poids de la dette, même si celle-ci est avant tout sociale. Puis, on s'assure le support d'une part importante de la population qui intègre ce discours comme étant la vérité absolue. D'abord, il est toujours pertinent de se demander si la responsabilité ne s’étale pas au-delà des gens visés. Ensuite, il y a toujours des choix et des alternatives qui s'offrent à la société et qui ne feraient pas reposer le poids sur une frange de la population (nous n'aborderons pas toutes les avenues possibles ici puisque ce n'est pas notre propos). Ainsi, les revendications syndicales apparaissent toujours extrêmes et non justifiées. Cependant, il faut se rappeler que les conditions que nous avons actuellement ont été gagnées coûte que coûte après de longues luttes et de nombreux sacrifices. De plus, comme nous le constatons depuis plusieurs années, elles ne sont pas garanties, il faut donc les défendre.

Finalement, la criminalisation et l'utilisation du système judiciaire. Une des caractéristiques des luttes syndicales est celle du sombre portrait qui est dressé de la personne qui occupe la position de chef. Cette personne est –ces personnes sont- toujours dépeinte comme étant radicale, prête à prendre tous les moyens nécessaires, prêts à se fermer les yeux, à légitimer tous les gestes et actions posés par ses membres. Les meneur-seuses syndicaux sont souvent décrits comme de potentielles menaces de l’ordre et de la sécurité publique. Bref, en entendant parler de ces meneurs syndicaux, on pourrait spontanément les prendre pour extrémistes. La criminalisation opère donc à travers le portrait que l'on peut tisser des gens, mais aussi de leurs actes. Toute action devient donc scrutée à la loupe, analysée et souvent, discréditée. La plupart du temps, elles sont qualifiées de violentes ou elles sont discréditées parce qu'elles ont engendré une perte d'argent quelconque (ex : avoir endommagé un bien public). Les syndicalistes sont donc immédiatement poursuiviEs au niveau judiciaire pour leurs actions et criminaliséEs. En effet, ils-elles ont enfreints la loi. Un des problèmes se posant ici c’est que la collectivité aura tendance à appuyer spontanément et aveuglément le système judiciaire parce que la justice c'est la justice et la loi, c'est la loi. Cela pose problème parce que la légitimité intrinsèque dont la justice et la loi font preuve prive une partie de la population de leur capacité de jugement et de discernement. L’illégalité d’un acte empêche de remettre en question la situation et de penser les actions et leurs objectifs. Cela nous amène inéluctablement à glisser un mot sur les lois spéciales. Celles-ci, bien qu'elles détruisent tout potentiel rapport de force dans une lutte syndicale sont toujours obéies puisqu'elles ont une force morale. De plus, en les utilisant, les gouvernements apparaissent souvent comme les sauveurs de l’ordre public lorsqu’ils légifèrent puisqu'ils apparaissent comme venant rétablir la norme. La judiciarisation a un défaut immanent, elle impose la décision d'un parti, à l'autre, et de ce fait évite toute potentielle négociation.

Pour conclure, le but de notre intervention était de sensibiliser les gens au défi de la lutte syndicale ainsi qu'à toutes ses implications. Nous voulions démontrer que l'analyse mérite toujours d'être approfondie en dépit de ce que nous entendons et de ce que nous serions spontanément prêts à croire. Nous avons volontairement contourné la représentation des syndicats au sein de la population ainsi que l'évolution que cette relation a connue, qui à notre sens, semble se détériorer au fil des ans et des luttes. Dans tous les cas, il faut se rappeler que dans un passé non si lointain, à une époque où la scientifisation du travail via le taylorisme, notamment, battait son plein, les conditions n'étaient guère les mêmes. Le travail de 16 heures par jour était coutume, les semaines étaient de plus de 5 jours et les salaires étaient non pas des salaires minimums, mais un minimum de salaire. Le salariat a fait des gains importants; les droits du travail, les retraites, la protection sociale, etc, au début du vingtième siècle au fil des luttes. Alors, plutôt que de s'acharner sur certains en mentionnant qu'ils ont de trop bonnes conditions ainsi qu’en appuyant les interventions gouvernementales contre les moyens de pression utilisés, mobilisons-nous pour ceux et celles qui n'ont pas des conditions respectables et appuyons leurs démarches. 

    



    





1 commentaire:

  1. À mon avis Maxime a vraiment expliquer, à partir de son article, le rapport de force au travail.
    Honnêtement, il a su attirer mon attention sur tous les aspects concernant les conditions et les revendications des pompiers. Je tiens sincèrement à le remercier, car j'appris énormément sur le sujet.

    Une des phrases qui a retenue mon attention et qui ma fait sourire: < Un des problèmes se posant ici c’est que la collectivité aura tendance à appuyer spontanément et aveuglément le système judiciaire parce que la justice c'est la justice et la loi, c'est la loi. >

    À quand les électeurs vont-ils cessés de mettre le blâme sur les autres ? Je crois fermement que la mobilisation et une campagne de sensibilisation sur les conditions de travail pourraient permettre à ces derniers d'arrêter de chialer.

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