vendredi 14 décembre 2018

Les gilets jaunes expliqués par Francis Fukuyama


Les gilets jaunes, encore.

Acte V ou pas d’acte V? Aucun sujet plus brûlant d’actualité que de savoir si le feu du mouvement s’éteindra bientôt. Ma grand-mère, tout en manifestant une grande sympathie envers les manifestants, l’espère bien : la couleur fluo des gilets de sécurité vire dans l’atmosphère au jaune médicament, et il ne faudrait pas que la morosité du climat, renforcée par un temps gris, plombe les esprits durant la période des fêtes.

Néanmoins, lorsque l’on regarde les événements de loin (géographiquement) et de « haut » (académiquement), on ne peut s’empêcher de souhaiter bonne vie au mouvement, en gardant un sentiment flou et quelque peu idéaliste d’espoir qu’il en ressorte quelque chose de bon.

Sur le sujet, chacun y va de son analyse. Mon objectif est ici d’en relayer une exprimée dans une chronique de radio récente [1], qui convoque l’idée de « révolte thymotique » de Francis Fukuyama [2]. Le thymos étant pour les Grecs la glande de l’amour-propre (« the part of the soul that craves recognition of dignity », nous dit Fukuyama), une révolte thymotique est alors une lutte pour la reconnaissance. Le chroniqueur associe le mouvement #Metoo au mouvement des gilets jaunes en ce sens que tous deux seraient des révoltes de ce type, portant des revendications similairement liées à la dignité. Et de conclure : « Si les revendications sont les mêmes, cela signifie que chacun de ces mouvements aspire à participer à une seule et même société ». Porteur d’espoir, n’est-ce pas? Désenchantons à présent le tout.

À savoir si cette lutte pour la dignité peut être le socle de la « convergence des luttes » tant attendue par certains, on peut reprendre l’observation du sociologue Louis Chauvel selon lequel il s’agit moins d’une convergence des luttes que d’une « synchronisation des frustrations » [3]. Frustrations d’être les laissés-pour-compte de la mondialisation, de constater que la théorie du ruissellement ne fonctionne pas, et par-dessus tout, de subir les propos condescendants d’un président bercé dans sa lubie de start-up nation (dont le grotesque n’a pas évidemment pas besoin d’être rappelé). Ainsi, il y a un lien direct entre revenu et dignité : les gilets jaunes se plaignent d’avoir de la difficulté à boucler leurs fins de mois, mais on lit sur leurs pancartes “Macron démission”.

Tous comptes faits, ne désenchantons pas maintenant et attendons de voir la suite.


[1] Erner, Guillaume. « Bienvenue dans l’ère des révoltes thymotiques ». L’Humeur du matin par Guillaume Erner. France Culture, 27 novembre 2018. https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-par-guillaume-erner-du-mardi-27-novembre-2018.

[2] Fukuyama, Francis. Identity: Contemporary Identity Politics and the Struggle for Recognition, 2018.

[3] Chauvel, Louis. « Les “petites classes moyennes” se vivent comme les suivants sur la liste des victimes ». Le Monde, 6 décembre 2018. https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/06/crise-sociale-les-espoirs-envoles-des-classes-moyennes_5393325_3232.html.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire