Les gilets jaunes, encore.
Acte V ou pas d’acte V? Aucun sujet plus brûlant
d’actualité que de savoir si le feu du mouvement s’éteindra bientôt. Ma
grand-mère, tout en manifestant une grande sympathie envers les manifestants,
l’espère bien : la couleur fluo des gilets de sécurité vire dans
l’atmosphère au jaune médicament, et il ne faudrait pas que la morosité du
climat, renforcée par un temps gris, plombe les esprits durant la période des
fêtes.
Néanmoins, lorsque l’on regarde les événements
de loin (géographiquement) et de « haut » (académiquement), on ne
peut s’empêcher de souhaiter bonne vie au mouvement, en gardant un sentiment
flou et quelque peu idéaliste d’espoir qu’il en ressorte quelque chose de bon.
Sur le sujet, chacun y va de son analyse. Mon
objectif est ici d’en relayer une exprimée dans une chronique de radio
récente [1],
qui convoque l’idée de « révolte thymotique » de Francis
Fukuyama [2].
Le thymos étant pour les Grecs la glande de l’amour-propre
(« the part of the soul that craves recognition of dignity », nous
dit Fukuyama), une révolte thymotique est alors une lutte pour la
reconnaissance. Le chroniqueur associe le mouvement #Metoo au mouvement des
gilets jaunes en ce sens que tous deux seraient des révoltes de ce type, portant
des revendications similairement liées à la dignité. Et de conclure : « Si
les revendications sont les mêmes, cela signifie que chacun de ces mouvements
aspire à participer à une seule et même société ». Porteur d’espoir,
n’est-ce pas? Désenchantons à présent le tout.
À savoir si cette lutte pour la dignité peut
être le socle de la « convergence des luttes » tant attendue par
certains, on peut reprendre l’observation du sociologue Louis Chauvel selon
lequel il s’agit moins d’une convergence des luttes que d’une
« synchronisation des frustrations » [3].
Frustrations d’être les laissés-pour-compte de la mondialisation, de constater
que la théorie du ruissellement ne fonctionne pas, et par-dessus tout, de subir
les propos condescendants d’un président bercé dans sa lubie de start-up
nation (dont le grotesque n’a pas évidemment pas besoin d’être
rappelé). Ainsi, il y a un lien direct entre revenu et dignité : les
gilets jaunes se plaignent d’avoir de la difficulté à boucler leurs fins de
mois, mais on lit sur leurs pancartes “Macron démission”.
Tous comptes faits, ne désenchantons pas maintenant et attendons de voir la suite.
[1] Erner,
Guillaume. « Bienvenue dans l’ère des révoltes thymotiques ». L’Humeur
du matin par Guillaume Erner. France Culture, 27 novembre 2018. https://www.franceculture.fr/emissions/lhumeur-du-matin-par-guillaume-erner/lhumeur-du-jour-par-guillaume-erner-du-mardi-27-novembre-2018.
[2] Fukuyama,
Francis. Identity: Contemporary Identity Politics and the Struggle for
Recognition, 2018.
[3] Chauvel,
Louis. « Les “petites classes moyennes” se vivent comme les suivants sur
la liste des victimes ». Le Monde, 6 décembre 2018. https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/06/crise-sociale-les-espoirs-envoles-des-classes-moyennes_5393325_3232.html.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire