S’il est généralement établi que les universités sont un haut lieu de précarisation des professeurs, la situation professeurs de cégep est moins connue. Pourtant, les professeurs de cégep vivotent de session en session et attendent de nombreuses années avant d’obtenir la permanence d’emploi et les professeurs de la formation continue vivent de plein fouet la précarité. Sarah Waurechen, professeure à la formation continue au Collège Dawson, se penche particulièrement sur les difficultés que vivent ces derniers dans deux articles publiés sur le web en 2015. Dans un premier temps, nous résumerons brièvement ses propos et, dans un deuxième temps, nous tenterons d’analyser la situation des professeurs de cégep à la formation continue à la lumière de notions que Guy Standing a développé dans son étude du précariat.
Sarah Waurechen expose clairement de nombreuses injustices que vivent les professeurs de cégep à la formation continue. Leur rémunération est la moitié de celle des professeurs à l’enseignement régulier, ils ne savent pas s’ils auront du travail à la fin du trimestre et travaillent souvent le soir et la fin de semaine. De plus, ils enseignent à des étudiants qui ont bien des défis, car plusieurs travaillent à temps plein, sont des personnes immigrantes qui vivent les difficultés de l’intégration, ont des responsabilités familiales importantes ou peinent à s’orienter sur le marché du travail. Malheureusement, les services dont ces étudiants auraient bien besoin sont fermés quand ils fréquentent le cégep. En somme, des enseignants précarisés travaillent avec des étudiants tout aussi précaires. Dans un contexte de marchandisation de l’éducation, cette situation ne risque pas de changer de si tôt. Plus rentable que les programmes réguliers, la formation continue son expansion, même si elle se fait sur le dos des professeurs et des étudiants. La professeure du cégep Dawson conclut en affirmant que son seul espoir est de lutter : « (…) the only way I have left to protect my students is to advocate for them, and for myself. » (Waurechen 2015, 19 octobre) Malheureusement, elle ne mentionne pas comment elle mène cette lutte!
D’après Guy Standing, le précariat est une « class-in the-making, if not yet a class-for-itself» (Standing 2011 : 7). Dans son analyse complexifiée du précariat, il argue que les classes sociales pas n’ont disparu à l’ère de la globalisation, mais qu’elles sont beaucoup plus fragmentées. (Standing 2011 : 7) L’auteur affirme que le précariat même s’il n’est pas homogène (2011 : 13) a des caractéristiques de classe. En utilisant, certaines des caractéristiques que Standing attibue au précariat, nous tenterons de voir si les professeurs de cégep de la formation continue en font partie. Standing définit le précariat par une absence de sept types de sécurité d’emploi (2011 :10). « Not all those in the precariat would value all seven forms of security, but they fare badly in all respects. » (2011 : 11) Pourtant, il ne nous semble pas que c’est le cas de ces professeurs. Regardons d’un peu plus prêt. Les professeurs n’ont pas de « labour market insecurity » (2011 : 11), puisque depuis plus de trente ans le plein emploi n’est pas une priorité des gouvernements, encore moins en cette période d’austérité dans laquelle le gouvernement québécois fait la guerre aux services publics et aux établissements d’enseignement en particulier. Ces travailleurs n’ont pas de « work security » (2011 : 11) puisqu’ils enseignent souvent le soir ainsi que les fins de semaine et que beaucoup de leurs tâches ne sont pas rémunérées dont les communications par courrier électronique et rencontres avec leurs étudiants. Les professeurs n’ont pas de « income security» (2011 : 11) car ils peuvent perdre leur emploi d’une session de cégep à l’autre. Ils semblent avoir en partie la « job security » (2011 : 11), car ils occupent un travail spécialisé qui correspond probablement à leur personnalité, c’est-à-dire un « niche employment » (2011 : 11). Par contre, ces enseignants semblent vivre les quatre autres formes de sécurité identifiées par Standing. Étant syndiqués, ils sont protégés contre un congédiement abusif et détiennent donc l’ « employment security » (2011 : 11) et la « representation security ». (2011 : 11) Finalement, en enseignant, ils utilisent et développent leurs compétences et ont donc la « skill reproduction security » (2011 : 11). En somme, d’après notre analyse, les professeurs ne détiennent pas trois types de sécurité d’emploi, en détiennent un en partie et en détiennent trois.
De plus, pour Standing, le précariat n’a pas de « occupational identity » (2011 : 12); si nous pouvons nous fier à l’exemple de Waurechen, c’est bien le contraire pour cette professeure, car elle trouve un sens dans son travail et a à coeur l’apprentissage de ses étudiants. Par conséquent, ce n’est peut-être pas seulement parce qu’il est « at war with itself » (2011 : 25) que le précariat ne devient pas « a class-for-itself » (2011 : 25). Il est peut-être difficile pour les professeurs de cégep à la formation continue de s’identifier au précariat car ils exercent un travail qui correspond à leur objectif de carrière et qu’ils aiment. Pour Standing, « (…) one way of looking at precariat is seing how people come to be doing insecure forms of labour that are unlikely to assist them to build a desirable identity or a desirable career. » (2011 : 16) Pourtant, tout en ayant un statut d’emploi précaire, ces professeurs exercent un métier qui semble leur procurer une identité professionnelle positive. Le cas des professeurs de cégep à la formation continue exemplifie donc la difficile opérationnalisation du concept précariat.
Pour conclure, la conceptualisation inclusive du précariat de Standing a l’avantage de montrer dans quelle mesure de plus en plus de personnes souffrent au travail, que l’insécurité n’y est pas vécue de manière univoque et que la précarisation du travail touche un nombre grandissant de personnes. Toutefois, à une époque où l’individu se définit beaucoup par son identité professionnelle – et Standing lui-même accorde de l’importance à cette notion – comment faire en sorte qu’un professeur de cégep s’identifie et se solidarise avec un travailleur de centre d’appel ou des aides familiales qui sont des travailleuses étrangères temporaires? Ceci est pourtant un enjeu de taille dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des personnes. Si nous nous en tenons aux négociations des conventions collectives en cours, il ne nous apparaît pas que le syndicalisme québécois attaque cette question de front. Il nous reste à espérer, plus modestement, que la prochaine convention collective réduise le nombre de professeurs de cégep précaires.
Par Susana Ponte
Standing, Guy (2011) « The Precariat », dans The Precariat : The New Dangerous Class, Bloomsbury, New York. Pp. 1-25.
Waurechen, Sarah, (2015, 8 avril) « The crisis in higher education runs deeper than you think » http://rabble.ca/news/2015/04/crisis-higher-education-runs-deeper-you-think
Waurechen, Sarah, (2015, 19 octobre) « Guest Spotlight : The Crisis Runs Deeper Than W
Aucun commentaire:
Publier un commentaire