En guise de
continuité de ma présentation au colloque étudiant, je vous offre un
compte-rendu d’un conflit de travail qui s’est vécu en 2018. Celui-ci aura duré
3 mois. Il est question d’une entreprise de sous-traitance à la collecte de
fonds pour les ONG. Brièvement, cette compagnie engageait surtout des jeunes
qui faisaient du porte-à-porte ou allaient dans les bouches de métro afin de
convaincre des passants de devenir donateur mensuel pour l’organisation que la
compagnie représente ce jour-là.
Une entreprise en
démarrage : l’activité s’annonce stimulante pour les jeunes professionnels
dynamiques
En quelques mois d’existence,
cette compagnie est passée d’un seul employé à une trentaine. L’expansion s’est
amorcée par l’embauche de sept coaches
(ou cadres) avec de l’expérience dans le domaine. Les jeunes cadres
nouvellement en poste s’empressaient de signer leurs contrats de travail. Le
salaire était de 22$ de l’heure, aucun minimum de rentabilité et aucun minimum
d’heure de travail par semaine étaient exigés par l’employeur, il y avait un
remboursement du titre mensuel de transport en commun et plus encore. C’était
un emploi idéal pour les jeunes. Il offrait une flexibilité qu’exige la vie
d’étudiant ou l’enchevêtrement d’emplois.
Des tâches plus ou moins claires
y étaient rattachées. Les coaches ont
compris qu’ils devaient embaucher, former les nouveaux, s’assurer de
l’efficacité de ceux-ci, aider à l’administration de l’entreprise, être le lien
direct avec la direction et s’assurer de la discipline des employé-e-s. Bref,
ils devaient tous faire. Ces tâches ont rapidement été divisées par les cadres
eux-mêmes. Cette division s’est effectuée de manière démocratique et selon les
compétences de chacun.
Améliorer une nouvelle
compagnie : l’expérience à la rescousse
L’expérience des nouveaux cadres
a rapidement eu son effet. Ils ont amélioré plusieurs lacunes
organisationnelles. Une cadre a produit les relevés de paie et les formulaires
T4 qui étaient en retard de quelques mois. Un programme de recrutement a été
créé. Ils ont aussi mis sur pied un processus détaillé de suivi des employé-e-s.
Le salaire et les conditions de travail étaient attrayants. Il n’en demeure pas
moins que l’évaluation des nouveaux employé-e-s se faisait à la discrétion
arbitraire de la direction et causait beaucoup de stress aux employés.
Les cadres sont vite devenus des
larbins qui faisaient tout. Certains négociaient des nouveaux contrats avec les
ONG allant jusqu’à 500 000$ par année. Ils ont même dû gérer les conflits
avec les firmes compétitrices parce que la nouvelle entreprise volait des
employé-e-s et des terrains de travail. Les cadres devaient rattraper et expliquer
les bourdes de la direction (parfois illégales face aux normes du travail).
L’objectif des cadres était devenu claire : rendre l’ambiance de travail
agréable pour tous, en éliminant la gestion aléatoire et arbitraire.
La chute : d’un
conflit de travail à une gestion managériale
Après quelques congrès
d’entrepreneurs et de philanthropie, la direction a modifié son attitude. L’horizontalité
et la créativité n’étaient plus les principes de l’entreprise. Les employé-e-s
ont tous été réévalué selon leur rentabilité par heure travaillée. Même que la
direction s’invitait dorénavant au domicile des coaches afin de discuter des employé-e-s et des autres cadres. Ces
rencontres ont laissé place à plusieurs confessions. Entre autres, un cadre fut
accusé d’avoir une attitude misogyne et infantilisante envers plusieurs
collègues, en plus ne de pas effectué ses tâches de cadres. La direction s’est
faite discrète, elle n’a pas intervenue dans cette situation. Au lieu de cela,
la direction a disparu durant quelques jours. Seulement certains cadres avaient
un contact direct avec la direction. Durant ce temps, l’entreprise s’est
autogérée par les cadres en poste. Au retour de cette mystérieuse disparition,
il y eut la nomination d’un sous-directeur. Le nouveau sous-directeur nommé fut
le cadre accusé d’avoir une mauvaise attitude.
Suite à cette nomination, lors de
la rencontre hebdomadaire des cadres, une spécialiste des conflits de travail
ayant 30 ans d’expérience s’est incrustée. Sans présentation, elle débuta des
interrogatoires dans les corridors. Afin de rassurer les cadres, la direction précisa
qu’elle ne cherchait pas à renvoyer des gens. Le jour même, deux cadres ont été
renvoyés, car la direction doutait de leur confiance. Le jour après, trois
autres cadres ont reçu un message texte de groupe indiquant leur renvoi, sans
justification. Certains de ces renvois se sont faits avant les 3 mois
d’embauche. Tout employeur n’a pas à remettre d’avis de cessation d’emploi à
l’employé-e-s qui compte moins de 3 mois de service continu. Il y a moins de
disposition de protection pour ces employés.
En résumé, la direction a fait la table rase afin de continuer avec les
nouvelles bases apportées par ses cadres. Il fallait accélérer le pas vers la
vision de la direction, donc moins de démocratie. Les cadres renvoyés étaient
les personnes ressources dans l’entreprise et ils prenaient beaucoup de place
dans le processus décisionnel. Rapidement, tous les employé-e-s qui ont
démontré un mécontentement de ces renvois ont aussi été renvoyés.
Organisation
collective
Considérant ce renvoi comme étant
un bris du contrat de travail, les 5 cadres renvoyés ont voulu s’organiser. Ils
ont communiqué avec le syndicat IWW et
l’aide juridique. L’aide juridique leur a appris que leur contrat de travail
n’offrait aucune protection légale face aux normes du travail. Ils ont suggéré
d’effectuer une poursuite aux petites créances. L’IWW pour sa part, ne s’est pas montré disponible. Alors qu’un
rendez-vous s’était organisé au bureau de l’IWW,
aucun délégué syndical ne s’est présenté. Sans donner de suivi, sans répondre à
aucune question demandé ou offrir d’excuse, la boîte syndicale a invité les ex-coaches à signer des cartes de membre
lors d’un événement syndical. Évidemment, aucune carte n’a été signée.
Conclusion
Après coups, les personnes touchées
par ce conflit assument une certaine naïveté étant donné leur manque
d’expérience professionnelle et se promettent de « mieux vérifier à l’avenir ».
Certains ont eu l’impression de se faire voler des idées pour ensuite se faire
renvoyer sans aucune marque de respect. Pour certains, ils avaient espoirs de
recevoir de l’aide de l’IWW et de
l’aide juridique, mais la fatigue aura eu raison d’eux et ils ont cessé tout
recours. Ce conflit est, pour certains, le dénouement d’une expérience de
travail cahoteuse. Le domaine de la collecte de fonds pour les ONG n’est pas
exclu des transformations du travail. Il sous-traite, car il exige de la
flexibilisation. Il engendre aussi de la précarité d’emploi. Les ONG n’ont pas le contrôle de ce qui se
passe dans ces entreprises de philanthropie. D’ailleurs, c’est justement cette
gestion des ressources humaines que les ONG
évitent de gérer en sous-traitant.
Jonatan Lavoie